Tunisie : enfin le temps de l’action et du labeur !
La Tunisie organise dans moins de deux mois les élections législatives sensées sortir le pays de cette phase transitoire qui n’aura que trop duré, qui aura épuisé bien des énergies et qui aura fait souvent ressurgir les démons de la division et de la démagogie. Une tribune de Radhi Meddeb, président d’Action et Développement Solidaire (ADS, Tunisie).
Personne de raisonnable ne niera les acquis de la Révolution en matière de liberté d’expression, de recul de la peur ou ceux nombreux, même si fragiles, d’une nouvelle constitution saluée comme moderniste mais qui recèle des gisements d’ambiguïtés et qui devra faire ses preuves à l’épreuve de la pratique et de la mise en œuvre. Le soubassement politique de la deuxième République est enfin là, mais entretemps, les fondations économiques et sociales se sont largement lézardées.
Dans ces conditions, il est étonnant de voir le débat donner la priorité à l’élection présidentielle par rapport aux législatives, alors que le pouvoir sera essentiellement entre les mains de l’Assemblée, ou encore se concentrer sur le choix des têtes de listes. L’absence de visions ou de programmes posant clairement les défis auxquels doit faire face le pays est tout aussi regrettable. Les électeurs sont pris en otage comme s’ils devaient se contenter des sigles ou des noms des partis et ils sont déjà bien trop nombreux !
La classe politique continue à occulter les raisons qui étaient derrière la Révolution.
La classe politique continue à occulter les raisons qui étaient derrière la Révolution. Celle-ci n’était née ni d’une exigence identitaire, ni même d’une quête de démocratie formelle. Elle avait été d’abord portée par les jeunes et plus particulièrement, ceux issus des régions intérieures, dans leur désespoir, leur absence de perspective et leur refus de la marginalisation et des discriminations économiques, sociales et politiques. Ce séisme, qui avait alors pris de court l’ensemble de la classe politique, gouvernants et opposition, de l’intérieur et de l’extérieur, exigeait des réponses fortes et appropriées. Elles ne sont jamais venues.
Bien au contraire, la situation économique et financière du pays s’est fortement dégradée, les conditions sociales et le pouvoir d’achat des catégories faibles et vulnérables se sont détériorés. L’environnement international y aura contribué par son adversité. La gestion calamiteuse des affaires publiques a fini par faire le reste: crise structurelle des finances publiques, éviction de l’investissement public et intrusion du terrorisme dans le quotidien des tunisiens.
Le politique a pris bien plus que le temps nécessaire. Les traitements sociaux, coûteux et souvent démagogiques ont plombé le pays. Les revendications, celles légitimes et celles qui le sont beaucoup moins, se sont installées comme mode d’expression et d’action.
Il est urgent que l’économique reprenne ses droits, impose son rythme et remette le pays sur la voie de la croissance, de l’inclusion, de l’investissement, de la performance et de la durabilité.
Il est urgent que la pays passe du provisoire et de la gestion à court terme au temps long, celui de la stabilité, du sacrifice, de la mobilisation et des valeurs. Il est temps pour les et les autres de se tourner vers l’avenir plutôt que de rester les yeux rivés vers le rétroviseur et de ressasser le passé avec rancœur ou nostalgie.
Un maître mot s’impose, celui des réformes : multiples, profondes et structurelles. La Tunisie s’était installée depuis près de vingt ans dans la léthargie et l’immobilisme. Il est temps d’en sortir. Les réformes ne seront ni simples ni agréables. Elles devront bousculer des situations de rente, établir des règles du jeu stables et lisibles, renouer avec une croissance encore plus forte, favoriser l’inclusion de tous ceux tenus à l’écart du développement, relever le niveau de l’éducation pour remettre l’ascenseur social en marche et redonner de l’espoir aux générations futures, libérer les énergies et rapprocher les décisions de leurs bénéficiaires.
La Tunisie s’était installée depuis près de vingt ans dans la léthargie et l’immobilisme. Il est temps d’en sortir.
Quels que soient les résultats des prochaines élections, les forces politiques et sociales tunisiennes devront trouver les conditions d’une coopération sereine, où l’intérêt général primera les intérêts particuliers et partisans et évitera la division et la discorde. La Tunisie a besoin de solidarité pour affronter les défis à venir avec cohérence et détermination. Le temps des consensus mous, où les problèmes qui fâchent sont éludés, est révolu. Celui du partage du butin l’est tout autant et l’intelligence tant citée du Peuple Tunisien doit s’imposer pour préserver les acquis de la Nation et les approfondir au profit de tous. Cela passera par la stabilité institutionnelle, la restauration de l’autorité de l’État, le vivre ensemble dans le respect les uns des autres, l’exigence d’un plus grand dénominateur commun et la stricte application de la loi.
La lutte contre le terrorisme est une exigence non négociable. Elle passe par la mobilisation de tous, l’éradication de ses racines socioéconomiques et culturelles et de ses ramifications internationales. Le combat sera long et le temps joue en faveur des ennemis de la paix et de la démocratie. La menace étant globale, seule une riposte globale, associant partenaires et amis peut être déterminante.
Ces conditions sont essentielles pour restaurer la confiance, voir l’investissement privé national et étranger reprendre et la relance prendre forme. Elles seraient toutefois insuffisantes et ne permettraient pas de relancer la création d’emplois et d’inverser la courbe du chômage si elles n’étaient pas accompagnées de toutes les réformes nécessaires pour instaurer plus d’inclusion, plus de solidarité et plus de performance.
Depuis bientôt quatre ans, bien des équilibres ont été rompus, bien des fragilités ont émergé et bien de mauvaises pratiques se sont installées. La reconstruction d’une Tunisie nouvelle démocratique et respectueuse des droits humains passera nécessairement par sa capacité à être performante, à créer des richesses, à en assurer une répartition juste et équitable et à faire que tous ses enfants, établis à l’intérieur de ses frontières ou ailleurs, puissent trouver les modalités de leur épanouissement. Cela passera par la restauration des grands équilibres macroéconomiques, la lutte contre l’inflation, la contrebande et la fraude fiscale, la préservation du pouvoir d’achat de la classe moyenne et des catégories faibles et vulnérables, l’instauration d’une fiscalité plus juste et plus inclusive, la formalisation de l’économie informelle, le développement de l’économie sociale et solidaire en soutien à l’économie de marché.
Cela passera également par la réforme de l’administration pour la dépoussiérer, l’alléger et la renforcer en compétences et en faire un véritable allié du développement, la réforme des entreprises publiques pour les libérer du carcan des pratiques bureaucratiques et les mettre en situation de performance, la réforme du secteur financier pour en faire le fer de lance de l’économie et le partenaire du développement des entreprises privées mais également pour favoriser l’inclusion financière, outil indispensable pour une véritable inclusion économique et sociale, la réforme des caisses de retraites et de prévoyance pour les préparer à affronter la transition démographique, la réforme de la Caisse générale de compensation pour que cessent les gaspillages et les détournements de subventions, sans pour autant fragiliser ceux qui en ont besoin ou porter un coup irrémédiable à la compétitivité du tissu économique.
Le rôle du secteur privé devra être réaffirmé haut et fort avec un environnement des affaires simplifié, favorisant la transparence, l’initiative et l’entrepreunariat, érigeant la liberté en principe et l’autorisation en exception, remplaçant l’essentiel des contrôles à priori par des contrôles à posteriori et fixant un cadre légal incitatif aux partenariats public-privé.
Cela passera aussi par de grandes réformes sociétales qui devront favoriser une gouvernance plus participative, l’ouverture du pays sur son environnement international et son adoption des meilleures pratiques, que cela concerne l’éducation, la formation professionnelle, la santé, la culture ou le sport.
La politique de l’aménagement devra être érigée en puissant outil d’inclusion sociale.
Les réformes sectorielles seront nombreuses, que cela concerne le tourisme, bien malade avant la Révolution et dont l’état de santé s’est encore dégradé ou l’environnement qui n’a pas survécu à une gestion administrative, sans vision ni adhésion des populations concernées.
La politique de l’aménagement devra être érigée en puissant outil d’inclusion sociale et régionale et de compétitivité des territoires. Elle devra associer de manière permanente les populations à la définition de leur devenir tout en gardant la capacité d’arbitrer et de réaffirmer l’autorité de l’Etat dans la déconcentration et la décentralisation. Elle devra avoir le souci permanent d’interconnecter la Tunisie à son voisinage immédiat.
La place de la Tunisie dans son environnement régional et international devra être réaffirmée par l’approfondissement de ses relations avec l’Europe et l’identification de nouvelles modalités de coopération dans la proximité, la complémentarité et la solidarité. La vocation maghrébine et africaine de la Tunisie devra être renforcée avec un investissement plus fort, une présence plus volontariste de ses entreprises sur ces marchés porteurs et une stratégie d’accompagnement clairement déclinée par les pouvoirs publics. La Tunisie devra favoriser la réconciliation maghrébine en réaffirmant la solidarité des peuples et le respect des politiques nationales.
Voilà pour l’essentiel, les grands chantiers qui attendent la classe politique et le prochain gouvernement.
Après bien des hésitations, le gouvernement des technocrates a fini par engager la réflexion dans plusieurs de ces secteurs et esquisser certaines de ces réformes, même si des voix démagogiques et partisanes l’exhortaient à l’immobilisme sous couvert de statut transitoire. Il est important que la Tunisie capitalise sur ce travail, accélère le rythme et ne cède en aucun cas aux corporatismes ou à une ultime table rase qui ne ferait que retarder les échéances, compliquer les solutions et alourdir les additions.
Le chantier des réformes est immense. Sa mise en œuvre ne souffre ni discussion ni négociation. Le salut de la Tunisie passe par là et le redressement est encore possible, même s’il s’annonce long et coûteux. Les politiques doivent en prendre conscience et s’atteler à la tâche sans plus tarder. Aucun d’entre eux ne pourra dire qu’il ne savait pas. Les amis de la Tunisie et à leur tête l’Europe doivent apporter un appui franc et massif à cette œuvre majeure de réformes. Le succès du premier des printemps arabes en dépend, mais aussi, la sécurité et la stabilité de la région entière.
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