Afropunk : Faty Sy Savanet, « une vraie Kinoise »
Née à Kinshasa, d’un père guinéen et d’une mère sénégalo-congolaise, Faty Sy Savanet est la chanteuse du duo parisien Tshegue dont le tout premier EP, « Survivor », rencontre un franc succès. Elle se produira le 15 juillet à Paris, dans le cadre du festival Afropunk, aux côtés de son complice, le musicien Nicolas « Dakou » Dacunha.
Jeune Afrique : vous jouez sur le mélange des genres − garage, rock, punk, électro, rythmiques et percussions africaines. Est-ce en cela que votre musique est « afropunk » ?
Faty Sy Savanet : L’afropunk est un brassage de plusieurs styles, ceux qui font partie de notre héritage musical. Ma mère écoute de la musique depuis toujours. J’ai rencontré des gens qui m’ont fait découvrir le blues, le rock ou le punk. Aussi, on se réapproprie les styles écoutés sous le prisme de notre propre vécu. Que ce soit en France ou sur le continent africain, on est forcément plongé dans le bain de la diversité musicale.
Mais je ne suis pas la seule à faire de l’afropunk. On en retrouve au Zimbabwe. Certains rythmes pygmées s’apparentent à de l’électro. Sans parler de groupes congolais comme Kokono n°1 qui utilisent des instruments amplifiés. Pour moi, ce procédé relève de l’afropunk.
Vous avez ajouté un « t » au terme « shegué » qui, en lingala, fait référence aux enfants des rues à Kinshasa. Pourquoi cette orthographe ?
« Tshegue » est mon surnom. Dans ma famille, on m’appelle comme ça depuis l’enfance. C’est une façon affectueuse de me traiter de « petit voyou ». J’étais un peu turbulente à l’époque. J’ai changé l’orthographe car, depuis que j’ai quitté Kinshasa, à l’âge de 9 ans, j’ai évolué avec des codes différents. Mais « shegué » reste, pour moi, une énergie avec laquelle je vis. Je l’écris différemment car désormais, il y a la « Tshegue » de Kinshasa, celle de Paris mais aussi la « Tshegue » d’ailleurs.
Comment en êtes-vous arrivée à embrasser une carrière musicale ?
Depuis toute petite, je suis habitée par la musique. J’ai tenté, à plusieurs reprises, de me tourner vers autre chose mais la musique revenait tout le temps. J’ai fini par accepter l’évidence et je me suis lancée il y a cinq ans. Et cela, grâce au soutien du musicien et producteur français Bertrand Burgalat. Il fait partie des gens qui m’ont permis de prendre confiance en moi, qui ont fait en sorte que je puisse monter Jaguar, mon groupe de punk.
Pendant longtemps, j’ai été bercé par le garage, le rock des années 60 et j’écoutais aussi beaucoup de rhythm’n’blues. Depuis plus de deux ans, je nourrissais l’idée de faire éclore Tshegue. J’avais besoin de faire une musique qui me correspondait, de retourner à mes origines. Et ça s’est concrétisé grâce à ma rencontre avec mon alter-ego, le batteur et percussionniste Nicolas « Dakou ». Les percussions sont la base de Tshegue pour une musique qui vient des tripes, une musique où les battements de cœurs sont essentiels.
Quels rapports entretenez-vous avec le continent africain ?
Je parlerais de petits moments de paradis, comme me faire faire des tresses ou savourer un bon plat de pondu ! L’Afrique fait partie de mon histoire, elle est avec moi. La dernière fois que j’y suis allée, c’était il y a six ans, pour un festival de blues touareg à Tombouctou, au Mali. J’en garde un précieux souvenir. Je compte retourner au Congo très prochainement et me rendre également en Guinée. Pourquoi ne pas mener des collaborations musicales là-bas ?
Avec ma musique, j’entends ouvrir les frontières
Avant, quand on me demandait quelle était mon origine, cela m’énervait. Désormais, je réponds : « Je suis de la même origine que toi ». Je ne comprends pas que l’on puisse, encore aujourd’hui, mettre des barrières entre les continents, les pays, les ethnies. Cela me peine énormément. Aussi, avec ma musique, j’entends ouvrir les frontières.
Vous chantez en lingala sur certaines chansons. Est-ce important pour vous ?
Oui, dans la mesure où je tiens à montrer que je n’ai pas oublié d’où je viens. Ça me permet de dire que mes origines sont toujours présentes. Mais c’est aussi naturel et instinctif. Ma mère me parle en lingala quotidiennement. C’est ma langue. Elle m’anime et m’habite. Quand je croise des Congolais et que je les entends parler en lingala, ça me fait super plaisir. Je pense que c’est pareil pour toute personne qui se retrouve face à ses origines sans s’y attendre.
L’une des chansons de votre EP s’intitule Muanapoto, ce qui signifie « les Congolais d’Europe ». Pourquoi cette chanson ?
J’y parle de déracinement, de différences de températures, de l’obtention des papiers, etc. C’est un morceau qui synthétise ma vision personnelle vis-à-vis de ce qu’est être un Congolais vivant en Europe. J’ai eu droit à pas mal de remarques en ce qui me concerne. On continue à croire que les Africains installés à Paris mènent obligatoirement la belle vie. Mais les choses ne sont pas si simples.
Nous-mêmes ne contribuons pas forcément à donner une bonne image de l’Afrique. Et on a vite fait de se montrer hautain vis-à-vis d’autres cultures. C’est un comble… Quand je chante Muanapoto, je me retrouve à Kinshasa. Parfois, ça fait du bien de retourner au pays.
Votre musique est passionnée, énergique et transcendante. Comme l’ambiance que l’on peut parfois retrouver à Kinshasa…
C’est exactement ça. J’ai grandi à Lemba, un coin de Kinshasa où l’on trouvait énormément de musiciens. Le quotidien était rythmé par le son. J’ai gardé en moi cette ambiance et cette énergie. C’est en ce sens que je suis une vraie Kinoise.
D’ailleurs, je garde de nombreux souvenirs de Kinshasa, comme le jus d’une mangue qui te coule le long du bras quand tu croques dedans. Ou alors les jours de pluie. C’étaient des moments de joie où tous les enfants sortaient et s’amusaient sous des trombes d’eau. Quant à l’actualité qui secoue la RDC, j’en parle avec ma musique.
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