L’ajout de capacités de production en Afrique : coup de fouet ou coup de massue ?
Cette tribune a été co-écrite avec Pierre Laurent.
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Thomas Léonard
Thomas Léonard est le co-fondateur d’Okan, une société de conseil en stratégie et en finance spécialisée sur l’Afrique
Publié le 11 juillet 2017 Lecture : 4 minutes.
Comme le savent quelques tycoons africains, Aliko Dangote au premier chef, la démographie galopante que connaît l’Afrique fait le bonheur de deux secteurs de base : la minoterie et la cimenterie. Pourtant, ces industries partagent une caractéristique commune : les capacités de production y augmentent par brusques à-coups, d’une ampleur suffisante pour déstabiliser le marché. En effet, l’arrivée d’un nouvel acteur provoque souvent une situation de surcapacité massive. En 2015, après l’ouverture de trois nouvelles unités de production, la capacité totale de production de ciment au Burkina Faso atteignait 2,5 millions de tonnes pour une consommation nationale de 1,3 millions de tonnes. De même, le passage de 4 à 6 minoteries au Sénégal en 2014 a fait monter la capacité de production à 2 500 tonnes/jour pour une demande de 1 600 tonnes.
Coup de massue
Cette surcapacité exacerbe la concurrence et provoque dans la plupart des cas une guerre des prix, avec une baisse des marges et des taux d’utilisation de l’outil industriel.
Chaque entreprise s’aligne alors peu ou prou sur les prix de ses concurrents : en 2015, le prix du sac de ciment a chuté de manière significative au Burkina Faso. Certains acteurs sont amenés à disparaître lors de ces épisodes brutaux, véritables « coups de massue », ne disposant pas des moyens financiers leur permettant d’assumer cette chute des marges.
Coup de fouet
Cependant, des leviers sont à la disposition des acteurs pour maintenir leurs positions, voire leur donner un « coup de fouet », en amont et pendant ces périodes de déstabilisation : l’amélioration de leur compétitivité et le développement de nouveaux débouchés leur permettant de faire face.
La compétitivité passe par la maîtrise des coûts, tant variables (matières premières, électricité) que fixes (le personnel). Le principal poste d’achat concerne les matières premières (l’achat de blé représentant jusqu’à 75% des coûts des minoteries) et la capacité des acteurs à optimiser leurs approvisionnements donne une indication de leur capacité de résistance dans le cas d’une guerre des prix.
Économie d’échelle
Cette optimisation passe notamment par la recherche d’économies d’échelle. La consolidation des secteurs de la minoterie et de la cimenterie ces dernières années est représentative de la volonté des acteurs d’obtenir une taille critique. C’est la raison invoquée pour l’acquisition des Moulins Sentenac par NMA Sanders en 2015 au Sénégal : pouvoir affréter de plus grands bateaux (12 000 tonnes contre 6 000 auparavant).
Les coûts d’énergie représentent une part importante des coûts de production des cimenteries, et sécuriser un approvisionnement en énergie bon marché est fondamental.
Ainsi, grâce à un accord avec l’État, Dangote Cement peut accéder facilement aux ressources gazières ce qui lui permet d’électrifier à moindre coût ses usines, comme la mégacimenterie d’Obajana, au centre du Nigéria. Il en va de même au Congo, où l’usine de Dangote Cement dans le district de Yamba (Bouenza) est reliée à la centrale hydro-électrique de Moukoukoulou.
Rentabilisation maximale
Le contrôle des coûts s’effectue aussi par l’amélioration de la compétitivité opérationnelle des unités de production, en vue d’une rentabilisation maximale du lourd investissement initial.
Ainsi, un grand nombre de minotiers et de cimentiers mettent en œuvre un processus d’automatisation des opérations de leur moulin, permettant de le faire tourner sans interruption et de diminuer le temps de maintenance et les besoins en personnel. C’est ce qu’a fait Somdiaa en 2013 pour le moulin de sa filiale Cogedal, à la Réunion.
Niche de marché
Un autre avantage concurrentiel réside dans la compétitivité « hors coût ». L’image de marque joue un rôle clé dans la fidélisation de la clientèle en cas de situation de surcapacité, permettant de garder des parts de marché ou de pratiquer des prix plus élevés grâce à une qualité supérieure (ou perçue comme telle).
Par ailleurs, une large gamme de produits permet de toucher un plus grand nombre de consommateurs et surtout d’exploiter des niches de marché comme par exemples avec les farines spéciales à plus forte valeur ajoutée. C’est la stratégie adoptée par la Société des Grands Moulins du Cameroun, filiale de Somdiaa, ou par le groupe Olam au Nigéria qui commercialise jusqu’à dix variétés différentes de farine.
Innovation et baisse des prix
Une autre possibilité pour mieux survivre aux déstabilisations des marchés est de s’intégrer en aval, en développant de nouveaux produits : biscuiterie, unités de production de pâtes, etc.
Au-delà de son « effet de massue » pour les producteurs les moins performants, l’ajout de capacité dans la cimenterie et la minoterie a deux effets très positifs, en donnant un véritable « coup de fouet » à des secteurs parfois un peu « endormis » : il pousse les entreprises du secteur à innover en se développant sur de nouveaux marchés (les minotiers deviennent producteurs de pâtes et de biscuits), et permet au consommateur – souvent modeste en Afrique – de bénéficier d’une offre meilleur marché et d’une palette de produits plus importante.
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