Mort d’Ebossé : ce que l’Algérie doit faire pour en finir avec les « supportueurs »

Le décès d’Albert Ebossé (24 ans), l’attaquant camerounais de la JS Kabylie, atteint mortellement par un projectile lancé par un supporteur samedi à l’issue de la rencontre face à l’USM Alger (1-2) a endeuillé le monde du sport. Un drame prévisible, le football algérien étant gangrené par une violence que les pouvoirs publics, les instances dirigeantes et les clubs ne mettent guère d’énergie à combattre.

Albert Ebossé n’avait que 24 ans.

Albert Ebossé n’avait que 24 ans.

Publié le 28 août 2014 Lecture : 4 minutes.

Parce qu’un "supportueur" toujours pas identifié n’a vraisemblablement pas digéré la défaite de son équipe lors d’un match de football, un jeune joueur de 24 ans a perdu la vie en quittant terrain. Un projectile "contondant et tranchant" a atteint l’attaquant camerounais Albert Ebossé le 23 août lui provoquant une "hémorragie interne" fatale. Un drame qui découle de la violence endémique dont le football algérien s’est accomodé depuis bien trop longtemps. "Cela devait malheureusement arriver. Tous les week-ends, des matches sont perturbés par des jets de projectiles divers et de fumigènes. Des joueurs, des dirigeants ont été agressés, des supporteurs blessés ou tués, parfois à l’arme blanche (en 2010, lors du match Algérie-Serbie). Là, c’est un footballeur qui est mort sur le terrain. J’espère que cela fera bouger les choses", réagit Alain Michel, l’entraîneur de la JS Saoura (Ligue 1).

Youcef Fates, sociologue français d’origine algérienne et maître de conférence à Paris-X, le répète inlassablement depuis des années. "Les supporteurs algériens sont excessifs et souvent violents. On a vu pendant la Coupe du monde que leur violence s’exportait, notamment en France avec de nombreux incidents. Les autorités savent que la violence est une donnée de la société algérienne. Elles préfèrent d’une certaine façon que les comportements violents aient lieu dans les stades, où ils sont plus faciles à canaliser, que dans les rues." Un agent de joueurs algérien évoque même "la passivité, voir la complicité des autorités et des clubs. À l’entrée des stades, il n’y a pas de fouilles, ou alors elles sont sommaires", explique-t-il.

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>> Lire l’interview de Youcef Fates en 2012 : "L’Algérie n’est pas à l’abri d’une très grosse catastrophe"

Laxisme et vétusté

Abdelkrim Medouar, porte-parole de l’ASO Chlef et député du Front de libération nationale (FLN, au pouvoir), ne nie pas l’ampleur du problème. "Si des projectiles divers et des couteaux entrent facilement dans les stades, c’est qu’il y donc cas où des agents de sécurité ou des dirigeants laissent faire." Mais outre le laxisme des contrôles, la qualité des infrastructures est elle aussi en cause.

"L’Algérie est un pays riche, producteur de gaz et de pétrole, et pourtant, ses stades sont trop souvent inadaptés. C’est anormal. Rares sont ceux équipés d’un tourniquet pour filtrer les entrées, et ce n’est pas difficile de casser les gradins et de se fabriquer des projectiles. Il y a un manque de volonté politique d’améliorer les stades. Dans de telles conditions, la police déployée lors des matches ne sert quasiment à rien !", regrette notre agent algérien.

Des dirigeants, des entraîneurs et parfois des joueurs tiennent des propos choquants.

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Double billeterie

Celui-ci évoque également la pratique assez répandue de la double billetterie, s’appuyant sur l’exemple du match Algérie-Burkina Faso en qualifications pour la Coupe du monde 2014 en novembre dernier (1-0). "Des gens qui avaient des billets n’ont pas pu assister au match. Car en Algérie, la double billetterie arrange pas mal de monde. N’importe qui peut pénétrer dans un stade", affirme-t-il. "Il est exact que pas mal de personnes assistent à des matches sans payer", confirme Abdelkrim Medouar. "Il ya des gens sans billet qui forcent pour entrer. Un jour, des policiers m’ont dit qu’ils n’intervenaient pas pour éviter des bagarres", rapporte Alain Michel.

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Diego Garzitto, l’entraîneur du CS Constantine, compare les stades algériens "à des arènes. Il y a des supporteurs, ou pseudo-supporteurs, qui se croient tout permis. Face à un certain laxisme, ils en profitent." Pour Hubert Velud, l’entraîneur de l’USM Alger, qui travaille depuis plus de deux ans en Algérie et qui était présent à Tizi Ouzou samedi dernier, "ce qui est frappant, ce sont certaines déclarations guerrières avant les matches. Cela fait monter la tension." Un avis partagé par Youcef Fates. "On lit des choses violentes. Des dirigeants, des entraîneurs et parfois des joueurs tiennent des propos choquants. La presse, qui en rajoute régulièrement avec des titres racoleurs, ne s’intéresse qu’à la performance, comme les acteurs du foot. En Algérie, il n’y a pas une vision éducative du sport", constate le sociologue.

Quelles solutions ?

Pour l’agent de joueurs, le drame de Tizi Ouzou reflète plus largement l’état du football algérien. "O a fait le choix d’une sélection nationale forte, mais on délaisse le foot local. Pas ou peu de sécurité dans des stades souvent vétustes, une formation des jeunes quasi inexistante, beaucoup de corruption et d’amateurisme. Le foot algérien se dit professionnel, mais il en est loin…"

"L’Algérie est soucieuse de son image à l’international, elle ne peut pas rester sans rien faire, d’autant plus qu’elle s’est portée candidate à l’organisation de la CAN 2017 après le désistement de la Libye", espère Youcef Fates. Oumar Bentobal, le président du CS Constantine, énumère les mesures urgentes à prendre. "De vraies fouilles à l’entrée, mise en place de comités de supporteurs qui auront des relations régulières avec les clubs et les instances, créer des fichiers de supporteurs, procéder à des interdictions de stade…" Et Abdelkrim Medouar préconise même l’instauration de matches à huis-clos "à chaque fois que cela est nécessaire." C’est-à-dire… très souvent.

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