Madagascar : corruption, pressions… les magistrats se rebiffent

Des juges menacés de mort par des élus, des « rabatteurs » chargés d’enterrer des affaires, des forces de sécurité qui refusent publiquement l’exécution d’un jugement : à Madagascar, la corruption et les pressions gangrènent la justice et embarrassent le pouvoir politique.

A Madagascar, la corruption et les pressions gangrènent la justice et embarrassent le pouvoir politique. © Franck Fife/AFP

A Madagascar, la corruption et les pressions gangrènent la justice et embarrassent le pouvoir politique. © Franck Fife/AFP

Publié le 16 juillet 2017 Lecture : 3 minutes.

Devant l’ampleur du phénomène, les magistrats malgaches ont lancé une grève de sept jours jusqu’à mardi, le deuxième mouvement social depuis début juin. Les juges « s’indignent de la multiplication des cas d’obstruction de la justice et de violation des décisions de justice », fulmine le vice-président du Syndicat des magistrats de Madagascar (SMM), Bora Rojovola. Les exemples d’atteinte à l’indépendance de la justice ne manquent pas :

• À Ampanihy (sud-ouest), un sénateur a proféré des menaces contre des magistrats pour qu’on libère le maire. Ce dernier a finalement obtenu une libération provisoire en juin.

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• À Manakara (sud-est), des agents pénitentiaires en état d’ébriété se sont introduits, avec leurs armes de service, dans une salle d’audience pour contester la condamnation de l’un de leurs collègues pour mauvais traitement contre des détenus.

• À Toamasina (est), un officier de gendarmerie a refusé publiquement l’exécution d’un jugement.

Dans les couloirs des tribunaux, des rabatteurs offrent leurs services aux accusés. « On peut nous proposer une voiture ou un bout de terrain » pour enterrer une affaire, lâche le juge financier James Rakotomahanina.

Mais c’est une affaire impliquant une proche du président malgache Hery Rajaonarimampianina, qui a mis le feu aux poudres et fait éclater au grand jour la colère des magistrats. Claudine Razaimamonjy, une conseillère du chef de l’Etat accusée de corruption, a refusé à maintes reprises de se soumettre à la justice, avant d’être finalement placée mi-juin en résidence surveillée.

Le pouvoir est à nous aujourd’hui, mettez vous bien ça dans le crâne

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La situation s’est encore envenimée avec la diffusion début juillet d’un enregistrement où la conseillère s’en prend violemment au Bureau indépendant anti-corruption (Bianco). « Vous feriez mieux d’attendre que le président Hery quitte le pouvoir avant de me convoquer », crie-t-elle, avant de lancer : « Le pouvoir est à nous aujourd’hui, mettez vous bien ça dans le crâne. »

La « dérive » de trop

Ces propos compromettants ont contraint le président à réagir : « Je laisse la justice faire son travail », a affirmé Hery Rajaonarimampianina, avant de lâcher sa conseillère. « Tout le monde peut se dire être proche d’un président de la République, mais cela ne dédouane personne », a-t-il encore ajouté sur TV5 Monde. Ces déclarations n’ont cependant pas calmé les magistrats.

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« Lorsque c’est un proche du régime qui est accusé, alors les poursuites s’arrêtent rapidement après intervention de hautes personnalités de l’État, mais lorsque c’est un membre de l’opposition qui est accusé, l’emprisonnement ne tarde pas », affirme le juge Clément Jaona à l’AFP, dénonçant un système de deux poids deux mesures.

Pour l’opposition, « l’affaire Claudine » est la « dérive » de trop. Elle contribue à tendre un peu plus le climat politique dans la Grande Île à l’histoire tourmentée. « Le président et des gens du pouvoir se comportent comme des intouchables, en se croyant au-dessus des lois », dénonce Augustin Andriamananoro, membre du parti d’opposition TGV.

« Le régime actuel ne supporte pas la démocratie », affirme-t-il. Avant d’accuser le pouvoir d’avoir intimidé un présentateur de vidéos postées sur YouTube, aujourd’hui en fuite.

Ce dernier, Barry Benson, avait parodié la conversation entre Claudine Razaimamonjy et un enquêteur du Bianco. Il « a dû fuir quand des individus en tenue civile sont venus le chercher à son domicile », selon le Mouvement pour la liberté d’expression (MLE), qui regroupe des journalistes.

La grogne contre le pouvoir politique a cependant ses limites, estime l’analyste Toavina Ralambomahay, interrogé par l’AFP. « Le contre-pouvoir est très faible » à Madagascar, relève-t-il, et « le gouvernement en place dispose d’une grande marge de manoeuvre ». Sous pression toutefois, il a reconnu vendredi des dysfonctionnements.

« On va résoudre les problèmes en fonction de nos moyens, mais on ne va pas non plus faire des promesses d’ivrogne », a prévenu le chef du gouvernement Mahafaly Solonandrasana, avant de rapidement diluer les responsabilités : « Tout le monde est responsable, et le gouvernement demande des actions concrètes des fonctionnaires pour la lutte contre la corruption. »

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