Jean Fidèle Otandault : « Certains doutaient de notre volonté de faire le ménage » au Gabon

Ses pouvoirs d’investigation ont porté leurs fruits. Le directeur général du contrôle des ressources publiques a mis le doigt sur les failles et les incohérences du système financier gabonais. Et il promet du changement.

Jean Fidèle Otandault, le 1er août, à la rédaction de Jeune Afrique. © Vincent Fournier / J.A.

Jean Fidèle Otandault, le 1er août, à la rédaction de Jeune Afrique. © Vincent Fournier / J.A.

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Publié le 10 septembre 2014 Lecture : 6 minutes.

Expert comptable et commissaire aux comptes, Jean Fidèle Otandault le dit lui-même : il n’est pas fonctionnaire. En revanche, ce natif de Port-Gentil est l’un des piliers de la réforme des régies financières au Gabon. Celle-ci a été lancée en 2010, avec le vote de la loi organique relatives aux finances publiques, qui introduit une petite révolution dans la méthode d’élaboration du budget. Ainsi, en janvier, le pays passera d’une présentation du budget par moyen à celle d’un budget par objectif de programme.

Depuis qu’il a répondu à l’appel d’Ali Bongo Ondimba, en janvier 2011, pour une consultation qui a abouti, en mai 2012, à sa nomination en tant que directeur général du contrôle des ressources et des charges publiques (DGCRCP), Jean Fidèle Otandault ne plaît pas à tout le monde. Et pour cause. La nouvelle autorité qu’il dirige reprend les attributions de l’ancienne direction du contrôle financier, dissoute, mais dispose de pouvoirs élargis en matière d’investigation… De quoi gêner certains indélicats.

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Entre le début de 2013 et jusqu’au deuxième trimestre de 2014, la DGCRCP a effectué un audit des finances publiques qui a mis au jour des surfacturations, des dettes douteuses et toute une économie de prédation des deniers de l’État. Le commissaire aux comptes est aussi la cible de l’opposition, qui lui reproche pêle-mêle, ainsi qu’à l’exécutif, un assainissement en trompe-l’oeil et des manoeuvres électoralistes, visant à embarrasser d’anciens barons du régime passés dans l’opposition.

Jeune Afrique : Pourquoi l’audit des finances publiques n’a-t-il pas été lancé il y a quatre ans, au tout début du septennat ?

Jean Fidèle Otandault : Parce qu’il fait partie d’une vaste réforme. Il est le résultat d’un processus qui a commencé en 2010 par le vote de la loi organique instaurant la budgétisation par objectif de programme. En 2012, la DGCRCP a été créée, et, entre-temps, nous avons modifié le code des marchés publics. Ce qui, logiquement, nous a conduits à engager une réforme des services du Trésor et, donc, à en faire un audit.

Cette réforme concerne les grands acteurs de la chaîne de dépenses : le budget, la DGCRCP et la direction générale des services du Trésor, parmi lesquels la comptabilité publique. Cette dernière est en cours de réorganisation, et c’est dans ce cadre que nous avons lancé la mission d’audit pour faire l’inventaire des engagements de l’État.

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Comment avez-vous procédé ?

Cet audit s’est articulé en deux volets. Le premier, lancé au début de 2013, portait sur les fêtes tournantes [célébration du jour de l’indépendance, organisée chaque année dans une ville différente] des dix dernières années, c’est-à-dire la période 2002-2012. Nous avons présenté le rapport aux autorités, et une partie a été transmise aux instances judiciaires, qui vont engager des procédures à l’encontre des personnes soupçonnées de malversations.

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Le second volet de l’audit, déclenché à la fin de 2013, concernait directement les instances du Trésor public. À la fin du mois d’avril, nous avons remis le rapport aux autorités.

Pour effectuer votre mission, vous avez bloqué les paiements dus par le Trésor, ce qui a pénalisé les fournisseurs de l’État. Certains ont alors affirmé que les caisses étaient vides… Pourquoi ne pas leur avoir expliqué plus clairement ce qu’impliquait l’audit ?

Justement, nous avons rencontré le patronat, les syndicats des PME et les autres opérateurs économiques pour leur présenter la situation. Nous avons expliqué que l’audit servirait à identifier les raisons des retards. Concrètement, à comprendre pourquoi, lorsqu’un gestionnaire demande au Trésor de payer sa facture, cela ne se fait pas dans des délais raisonnables. Je leur ai dit que, cette année, nous allions travailler à cela. Ils étaient donc au courant… Il faut que les gens fassent preuve de bonne foi.

Nous sommes une direction générale technique, qui n’a pas vocation à communiquer avec la presse. Nous le faisons de manière exceptionnelle. En l’occurrence, nous l’avons fait. Ceux qui disent le contraire et colportent des rumeurs sont ceux qui doutaient de notre volonté de faire le ménage.

Plus généralement, comment les opérateurs économiques ont-ils réagi ?

Avant que nous ne commencions l’audit, en décembre 2013, ils nous ont clairement fait sentir la nécessité d’engager une réforme pour réduire les délais d’attente des paiements. Les fournisseurs de l’État ont toujours reproché au Trésor les lenteurs administratives, la longueur des procédures… Et nous avons conscience que les retards de paiement engendrent des coûts financiers pour les entreprises.

Nous les avons entendus et nous nous sommes engagés, à partir de 2014, à raccourcir les délais de traitement des dossiers, pour qu’ils passent d’environ un mois à une dizaine de jours. En ce qui concerne les délais de paiement, nous souhaitons parvenir à régler les factures à trente jours pour les dépenses de fonctionnement et à soixante jours pour les dépenses d’investissement.

À partir de 2015, nous allons tout changer pour inscrire au budget des volets de programme précis, et non plus des idées de projet.

Quelles principales failles avez-vous relevées dans le système financier ?

Je n’en relèverais que quelques-unes. La première venait de la conception même de notre budget. Pendant des années, nous avons inscrit dans notre loi de finances des idées de projet qui, parfois, ne reposaient sur aucune étude préalable. Par conséquent, dans nos prévisions, nous alignions des dépenses qui correspondaient à des recettes dont le montant nous était totalement inconnu.

La plupart du temps, ces projets coûtaient bien plus cher que prévu sur le terrain. C’est la raison pour laquelle, à partir de 2015, nous allons tout changer pour inscrire au budget des volets de programme précis, et non plus des idées de projet. Le Gabon sera le deuxième pays en Afrique centrale, après le Cameroun, à mettre ce système en place.

Il existe également une autre faiblesse, liée en grande partie à la précédente, puisqu’elle découle de la façon dont nous élaborons le budget. À l’approche de la clôture de l’année budgétaire, la plupart des gestionnaires se battent pour consommer l’intégralité des lignes de crédit qui leur ont été allouées, sachant qu’ils risquent de perdre le reliquat qu’ils n’auraient pas utilisé…

S’ensuit donc un emballement en matière d’engagements financiers, pendant lequel on foule au pied les règles. Prenons l’exemple d’un administrateur qui dispose d’un reste de crédit de 30 millions de F CFA [45 735 euros] et décide de l’utiliser avant la clôture de l’exercice en cours pour financer la construction d’une salle de classe. Il va signer à la va-vite une convention avec une entreprise et ordonner le paiement avant même que les travaux n’aient débuté dans l’école. Même si cette salle de classe est effectivement construite plus tard, toujours est-il que, au moment du paiement, le chantier n’a pas été livré… Et cela ne doit plus avoir cours.

Ce qui me permet d’embrayer sur une troisième faille du système, plus générale. Si les pouvoirs publics passent une convention avec un opérateur économique et qu’ensuite, à la lumière des études de faisabilité par exemple, le projet est abandonné, comment revenir en arrière si l’on a déjà donné l’ordre au comptable public de payer ?… Cette façon de procéder, elle aussi, doit être corrigée.

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Vous dites que, désormais, l’État ne paiera "que la bonne dépense". Vos détracteurs ironisent en disant que vous n’avez payé "que celle des amis du pouvoir"…

Et je leur réponds que ce n’est pas le cas. J’ai reçu plus de 400 opérateurs économiques, et, de son côté, le Trésor nous a fait parvenir toutes les dettes qu’il avait dans son portefeuille. Il en est ressorti qu’il devait directement aux entreprises un montant global d’environ 135 milliards de F CFA.

La DGCRCP a alors travaillé en pleine conformité avec l’éthique et la loi. Nous avons mis en place un comité de travail. Pendant plus de deux mois, ses membres se sont réparti les missions sur le terrain pour tout vérifier. Ensuite, nous avons reçu les opérateurs et, lorsqu’il y avait des flous ou des doutes, nous les avons confrontés à nos enquêteurs. Nous avons eu une démarche transparente. Ce sera désormais la règle.

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