Gabon : bonnes oeuvres et grandes manoeuvres
Après une première moitié de septennat centrée sur la croissance et les grands projets, Ali Bongo Ondimba lance un important programme social. Un plan qui mobilise plus de 380 millions d’euros supplémentaires d’ici à 2016, année de la prochaine présidentielle…
Depuis le début de l’année, on ne parle plus que de lui au Gabon : le Pacte social. Après cinq années focalisées sur la croissance et la diversification de l’économie, il doit incarner un changement de cap. Santé, famille, emploi, pouvoir d’achat : telles sont les nouvelles priorités affichées par le président Ali Bongo Ondimba et son gouvernement.
En toile de fond, un rapport accablant, commandé par le chef de l’État lui-même et remis en décembre par le cabinet de conseil américain McKinsey. L’étude révèle notamment que 30 % des foyers gabonais (95 000 ménages) vivent avec moins de 80 000 F CFA (environ 120 euros) par mois et ne perçoivent que 20 % du total des aides directes et indirectes accordées par l’État aux Gabonais – représentant la coquette somme de 250 milliards à 300 milliards de F CFA chaque année.
Comment expliquer que, dans un pays riche en pétrole, en bois, en minerais, et qui ne compte que 1,6 million d’habitants, un tiers de la population vive dans la précarité ? Le contraste est d’autant plus frappant que le revenu par habitant au Gabon est l’un des plus élevés de la région : selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI), il était en effet à plus de 12 300 dollars (plus de 9 320 euros) en 2013, contre 3 295 au Congo, 1 271 au Cameroun et 1 218 au Tchad.
Pourtant, au pays d’Ali Bongo Ondimba, l’espérance de vie n’est que de 63 ans, le taux de chômage des jeunes y est de 30 %, et 60 % des 48 départements sont "en décrochage" en matière de minima sociaux et d’accès aux infrastructures de base.
>> Lire aussi : Gabon : la présidentielle de 2016, c’est déjà demain
Arsenal juridique, réglementaire et budgétaire
"Nos mentalités doivent évoluer. Elles semblent avoir été colonisées par l’argent facile, l’appât du gain, la volonté de s’enrichir vite et sur le dos du contribuable", reconnaissait le chef de l’État à l’issue des Assises sociales organisées les 25 et 26 avril, à Libreville, pour lancer le nouveau projet de société. Une "stratégie d’investissement humain", par laquelle Ali Bongo Ondimba s’est engagé à réformer le système social au profit des populations les plus vulnérables.
Aux grands maux, les grands remèdes. Ce même 26 avril, le chef de l’État annonçait un budget supplémentaire de 250 milliards de F CFA sur trois ans pour financer la politique sociale. Renforcement des aides sociales aux plus fragiles (filles mères, veuves, personnes âgées, etc.), développement d’"activités génératrices de revenus" dans la pêche et l’agriculture, mise en place d’un fonds de microcrédit, amélioration du service public de l’emploi…
Un impressionnant arsenal juridique, réglementaire et budgétaire a été déployé pour organiser ces mesures, dont les plus urgentes se concrétisent depuis le mois de juin avec, à la manoeuvre, le Premier ministre, Daniel Ona Ondo, comme la prise en charge totale du patient aux urgences les premières vingt-quatre heures lorsque le diagnostic vital est engagé.
S’ils sont inédits, les engagements du chef de l’État reposent sur un diagnostic qui l’est moins. Car l’équipe de McKinsey s’est notamment appuyée sur l’enquête gabonaise pour l’évaluation et le suivi de la pauvreté (Egep), menée en 2005 avec l’appui de la Banque mondiale. Cette étude recensait déjà "33 % d’individus pauvres" au sein de la population.
"Le fait que le gouvernement se rende compte que la lutte contre la pauvreté est importante est un point positif", estime Zouera Youssoufou, la directrice pays de la Banque mondiale. "Mais de nombreux filets de protection sociale existent déjà, qui sont intégrés dans le budget de l’État, souligne-t-elle. La question qui se pose est celle de l’exécution de ces mesures…"
Coût de la vie
Les Gabonais, qui se sont vu promettre un "Gabon émergent" à l’horizon 2020, s’interrogent également sur les priorités d’Ali Bongo Ondimba depuis le début de son mandat. "Il se soucie plus de donner une image bling-bling du Gabon à l’étranger que du développement réel du pays", estime Hervé, un commerçant de la capitale. "Les conditions de vie n’ont pas changé.
Depuis 2009, le président a été incapable de construire les 5 000 logements par an qu’il avait promis, et 60 % des habitants de Libreville n’ont toujours pas accès à l’eau et à l’électricité !" relève quant à lui Georges Mpaga, porte-parole du mouvement associatif Ça suffit comme ça !
Dans son discours à la nation, le 16 août, le président Ali Bongo Ondimba, leur a répondu. "J’entends l’impatience de ceux qui ont l’impression que les choses n’avancent pas suffisamment vite", a-t-il déclaré. "Pour autant […] cette lecture pessimiste, voire démagogique, ne rend pas compte de la réalité du Gabon que nous sommes en train de bâtir."
Et de donner en exemple quelques-unes des réformes engagées et des infrastructures réalisées ces cinq dernières années ("plus de routes et de ponts que durant les vingt années antérieures"), avant de conclure que l’émergence, c’était ne laisser aucun Gabonais au bord de la route. "C’est la raison pour laquelle, a rappelé Ali Bongo Ondimba, je vous ai proposé, après avoir réalisé un diagnostic sans précédent et sans complaisance sur l’état de la pauvreté dans notre pays, d’ajuster notre stratégie d’investissement humain à la réalité."
Comme le souligne l’étude de McKinsey, 55 % des foyers économiquement faibles (FEF) vivent dans six départements essentiellement urbains (voir carte), où le coût de la vie et la difficulté d’accès au logement se font durement sentir. La construction de nouveaux quartiers et les chantiers d’infrastructures n’ont réellement commencé à prendre corps que fin 2012-début 2013. C’est notamment le cas du nouveau quartier d’Angondjé, dans le nord de Libreville. Par ailleurs, plusieurs grands projets ont créé polémique ces derniers mois. En particulier ceux lancés l’an dernier pour moderniser le centre-ville et le bord de mer de la capitale.
"De la diversion avant la présidentielle de 2016"
Nombreux sont ceux, au sein de la société civile et de l’opposition politique, qui voient dans ce tournant social du septennat le début des grandes manoeuvres pour booster la popularité du chef de l’État à deux ans de l’échéance électorale.
"Le gouvernement fait de la diversion avant la présidentielle de 2016", estime Georges Mpaga. D’autant que depuis quelques mois une partie de l’opposition, privée de véritable leadership depuis des années, tente de se rassembler autour du transfuge Jean Ping, ancien président de la Commission de l’Union africaine et ex-beau-frère d’Ali Bongo Ondimba, pour faire front uni face au Parti démocratique gabonais (PDG), au pouvoir depuis quarante-six ans.
Pacte social à l’appui, le chef de l’État a contre-attaqué début juin en invitant une vingtaine de partis d’opposition au Palais du bord de mer pour les convier à rejoindre son camp. Si la plupart de ces formations ne pèsent pas bien lourd sur l’échiquier politique gabonais, Ali Bongo Ondimba peut tout de même désormais compter sur le soutien de Séraphin Ndaot, du Parti pour le développement et la solidarité nationale (PDS), une figure de l’opposition à Port-Gentil.
Le compte à rebours est lancé, et le président en exercice dispose de peu de temps – deux ans, tout juste – pour concrétiser sa stratégie d’investissement humain et faire oeuvre sociale.
Réorganisation sur le Fonds
Doté d’un budget de 5 milliards de F CFA (7,62 millions d’euros) pour la seule année 2014, le Fonds national d’aide sociale (Fnas), créé en 2012, devient l’une des pierres angulaires du Pacte social. "Jusqu’à présent, les filets de protection sociaux étaient gérés par le ministère de la Famille et des Affaires sociales.
Les ressources transitaient par cinq directions générales différentes, chargées de les distribuer aux "personnes cibles", et on ne savait pas toujours où allait l’argent", explique Yvon Ndjoye, le directeur général du Fnas. Fonctionnant de manière autonome sur les plans administratif et financier, "le Fonds doit être géré comme une entreprise privée", poursuit-il. Le Fnas devra notamment piloter les "activités génératrices de revenus", en finançant de petits projets entrepreneuriaux dans les secteurs clés (agriculture, pêche, élevage, artisanat, tourisme, etc.).
"Nous recevons déjà 50 demandes d’aide sociale et de financement de projet par jour", assure Yvon Ndjoye, qui espère commencer à mettre en oeuvre les premières mesures issues du Pacte social en septembre. Les candidats retenus disposeront d’une enveloppe allant de 100 000 à 5 millions de F CFA pour démarrer leur projet (business plan, achat de matériel, etc.).
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