Algérie : « Si je veux me baigner en bikini, je me baigne en bikini »
Porter un bikini sur une plage algérienne n’est pas chose facile. Un groupe Facebook – tenu secret – qui a vu le jour au lendemain de la fin de l’Aïd et rassemble aujourd’hui 3 600 femmes de la ville d’Annaba s’est donné pour mission d’organiser de grandes baignades collectives. Face aux regards appuyés et au harcèlement sexuel et moral, ces Algériennes opposent la force du groupe.
« Si je veux me baigner en bikini, je me baigne en bikini », martèle Leila*, à l’initiative de ce mouvement d’habitantes d’Annaba désireuses de pouvoir se baigner en bikini sans avoir à craindre ni l’opprobre ni une quelconque forme d’oppression. Le principe de cette « baignade entre femmes » est simple : l’administratrice du groupe Facebook propose des dates et des plages et, via un sondage, les membres se prononcent. Pour l’instant trois sorties ont déjà eu lieu sur la plage de Seraïdi, à côté d’Annaba, non loin de la frontière avec la Tunisie.
Tout a commencé fin juin, deux ou trois jours après l’Aïd. Leila se rend à la plage mais n’ose ni se dévêtir ni tremper les pieds. « J’avais l’impression que tout le monde me regardait, j’avais le sentiment d’être un extraterrestre », confie-t-elle à Jeune Afrique.
Alors, pour briser cette peur, cet inconfort, elle décide de créer un groupe Facebook. Le but : motiver d’autres femmes d’Annaba qui, comme elle, veulent profiter de la plage en bikini, libres de leurs mouvements. Prudente, Leila veille à ce que le groupe soit secret : seules les personnes invitées par celles qui sont déjà membres peuvent y accéder.
https://twitter.com/Morgan2Me/status/885126760353976320
Cinquante au début, 3 600 aujourd’hui…
Au début, la jeune femme souhaite rester discrète. Elle invite d’abord quelques amies, des membres de la famille… « Nous n’étions qu’une cinquantaine. Et puis ça a fait boule de neige, on est maintenant plus de 3 600 membres », s’enthousiasme-t-elle.
La discrétion qui prévalait initialement a vite cédé le pas à une action d’ampleur. La première opération « toutes en bikini » a eu lieu le 5 juillet, jour de la fête de l’indépendance. « Ce jour-là, nous étions 50 femmes, sur une plage de Seraïdi, à 6 kilomètres du centre d’Annaba. Le samedi 8 juillet nous étions plus d’une centaine. Et nous avons fait une autre sortie plage, le 13 juillet », énumère la jeune femme. La prochaine sortie est pour ce weekend, samedi 22 juillet.
On se sent regardées, et pourtant on ne fait rien de mal. Avant ce n’était pas comme ça
Ces 3 600 femmes aspirent principalement à s’affranchir de complexes qui trop souvent leur enlèvent le plaisir de se rendre à la plage. « On se sent regardées, et pourtant on ne fait rien de mal. Avant ce n’était pas comme ça, je pense que les mentalités ont changé», estime Leila. « Lors des premières sorties à la plage, nous n’avons pas subi d’attaque verbale… Mais quelques regards dérangeants », se souvient-t-elle.
Pour Rym, biochimiste de 25 ans, membre du mouvement, il ne faut pas restreindre la liberté des femmes algériennes : « Nous sommes libres. Nous devons donc être traitées avec respect. »
Une initiative qui suscite des tensions
Le groupe, bien que secret sur Facebook, n’est pas resté dans l’ombre très longtemps. Un article publié dans le journal Le Provincial, lundi 10 juillet, a fait connaître l’initiative. Lilia, la journaliste de 24 ans qui a écrit l’article, en fait elle-même partie. Après un weekend à la plage non loin d’Annaba, elle a décidé de partager son expérience.
Lorsqu’elle se rend à la plage privée de Skikda à 100 km d’Annaba, début juillet, elle ne se doute pas qu’elle va voir débouler toute une équipe féminine de handball. Elles sont douze, toutes en maillot de bain, venues pour se baigner. Elle nous raconte : « Il y avait un couple à côté de moi qui venait d’arriver, et tout à coup, l’homme s’énerve en voyant les joueuses. Il dit à sa femme, qui elle portait un burkini : ‘Viens, on rentre !’ Elle tente de le convaincre de rester, mais il s’emporte et renverse les gobelets posés sur la table devant lui. Lorsque son épouse tente de les ramasser, il lui répond ‘tu ne ramasses pas. Le personnel ne me respecte pas en laissant entrer des filles nues sur la plage donc je ne le respecte pas non plus’ ».
L’article de Lilia se répand comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. « Certains commentaires qui incitent à boycotter notre mouvement émanent d’une minorité qui instrumentalise la religion pour dire que c’est pêché de se baigner en maillot. Pour d’autres, c’est beaucoup plus culturel. On peut parler de conservatisme culturel. Le maillot de bain n’est pas vraiment entré dans les mœurs », fait-elle observer.
Selon Rym, la société algérienne baigne dans une culture arabo-musulmane, sans chercher à y changer quoi que ce soit. « Nous, en tant que femmes, respectons et valorisons notre culture et notre religion. En aucun cas le fait de porter un bikini à la plage n’autorise le lynchage », plaide-t-elle.
Appels au boycott des maillots de bain
L’opération « toutes en bikini » fait l’objet de vives critiques, nous dit Leila. Pendant le ramadan, plusieurs pages Facebook appelaient à boycotter le maillot de bain. « Pendant l’Aïd, j’ai remarqué la création de plusieurs groupes Facebook qui dénonçaient les filles en maillot de bain ». Beaucoup jugent ces tenues « représentative de l’Occident » et « contraires aux normes de la religion ».
Mais les femmes du groupe Facebook ne l’entendent pas de cette oreille, à l’instar de Rym, pour qui ceux qui utilisent la religion comme prétexte sont des lâches : « Dans l’islam il nous est interdit de faire du mal à autrui, on nous dit de respecter les différences et les choix. Je suis une musulmane pratiquante et j’estime que je n’ai de comptes à rendre à personne ».
Les condamnations vont bon train sur les réseaux sociaux. « Ces événements dégradent l’image de notre pays », peut-on lire, entre autres vindictes. Ou encore : »Je me baigne avec mon hijab, je laisse la nudité aux animaux ».
Burkini-Bikini, même combat ?
La polémique algérienne sur le port du bikini n’est pas sans rappeler celle qui a sévi l’été dernier en France au sujet du burkini. Trop ou pas assez vêtues à la plage, des deux côtés de la Méditerranée, la question divise.
Lilia, qui se bat pour le droit des Algériennes à se vêtir comme elles l’entendent, confie avoir été dans un premier temps étonnée par l’affaire du burkini en France : « La polémique qui a sévi là-bas m’a choquée, mais je peux aussi comprendre car le burkini ne fait pas partie de la culture française. Ce qui est inconnu fait peur. »
Pour Leila, le combat ne s’arrête pas là : « J’espère qu’aller à la plage, que ce soit en bikini ou en burkini, deviendra une pratique normale pour les Algériennes. On va continuer à se réunir », affirme t-elle avec exaltation. L’exemple des femmes bônoises pourrait-il inspirer d’autres Algériennes d’ici la fin de l’été, sur les plages de Bejaia, Oran ou Alger ? Réponse dans les prochaine semaines.
(*) Leila est un prénom d’emprunt, la fondatrice du groupe souhaitant rester anonyme.
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