Algérie : pourquoi la situation des migrants subsahariens est-elle si problématique ?
En Algérie, entre le « sursaut humanitaire » d’une partie du gouvernement qui souhaite renforcer la politique d’accueil des migrants subsahariens et la réticence d’une frange de la société et de la classe politique, difficile d’y voir clair. État des lieux d’une situation migratoire particulière.
Depuis le début de l’été, la question de la présence des migrants subsahariens divise fortement la société ainsi que la classe politique algérienne. En juin dernier, une violente campagne virale visant les migrants subsahariens a éclaté sur les réseaux sociaux à l’aide du hashtag « #لا_للافارقه_في_الجزاير » (#Non aux Africains en Algérie).
C’est ensuite le nouveau Premier ministre issu des législatives de mai, Abdelmadjid Tebboune qui a voulu tempérer le discours de cette frange raciste de la population. Lors de la présentation de son programme devant les députés, le 23 juin dernier, Abdelmadjid Tebboune a affirmé son ambition d’offrir un accueil favorable aux migrants subsahariens. « Nous ne sommes pas des racistes, nous sommes des Africains, des Maghrébins et des Méditerranéens », avait-il alors martelé.
Position soutenue également par son ministre de l’Intérieur Nourredine Bedoui qui a voulu rappeler que « l’Algérie considère ces réfugiés, venant de pays en butte à des conditions difficiles, comme étant des invités qu’il faut prendre en charge au plan médical, social et psychologique, individuellement et en groupes ».
Propos radicaux de plusieurs ministres
Une ligne qui a très vite été contredite par le chef de cabinet du président Bouteflika, Ennahar Ahmed Ouyahia, qui s’en est directement pris aux migrants. L’homme fort du régime a ouvertement accusé ces populations « d’amener le crime, la drogue et plusieurs autres fléaux », estimant nécessaire de « protéger le peuple algérien de cette anarchie. »
Le week-end suivant, c’est Abdelkader Messahel, le ministre des Affaires étrangères, qui suscite la polémique. Le chef de la diplomatie reproche alors, lui aussi, aux migrants de constituer « une menace pour la sécurité nationale » et a même évoqué l’existence de « réseaux très organisés qui entretiennent et facilitent ce genre de trafic humain ».
Des allégations que le général-major Abdelghani Hamel, directeur général de la Sûreté nationale, a démenti. Lui a assuré au contraire que ses services n’ont enregistré aucune grande affaire dans laquelle seraient impliqués les migrants africains en situation irrégulière.
Depuis, les médias algériens s’emballent. Certains annoncent l’extradition des hommes et le placement des femmes et des enfants dans des centres d’accueil, d’autres parlent même du renforcement de la sécurité aux frontières avec le Mali et le Niger.
Pourquoi la situation des migrants subsahariens en Algérie est-elle si problématique ?
L’immigration illégale pénalisée
La principale particularité de la gestion des migrants en Algérie réside dans la pénalisation de l’immigration illégale. En effet les articles 42 et 44 de la loi 08-11 du 25 juin 2008 pénalisent l’entrée, le séjour et la sortie irréguliers du territoire algérien.
Ce texte rend les migrants plus vulnérables aux abus éventuels. Ils ne peuvent en effet pas porter plainte lorsqu’ils subissent des violences ou des agressions sans prendre le risque d’être poursuivis sous le chef d’inculpation d’« immigration clandestine ».
L’article 42 de la même loi renforce également les sanctions pénales à l’encontre de « toute personne qui, directement ou indirectement, facilite ou tente de faciliter l’entrée, la circulation, le séjour ou la sortie de façon irrégulière d’un étranger sur le territoire algérien ». Les sanctions s’échelonnent de deux à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 470 à 1 600 euros.
Lors d’une opération d’expulsion massive de migrants en décembre 2016, Amnesty International avait rapporté dans un communiqué que des personnes qui avaient tenté de venir en aide à des étrangers en situation irrégulière avaient été menacées par la police.
Un flou juridique autour du droit d’asile
L’Algérie ne possède pas de législation nationale concernant le statut des réfugiés et des demandeurs d’asile. Ce flou juridique ne permet pas aux autorités algériennes d’offrir un accueil et une prise en charge administrative adéquate aux migrants.
Celle-ci relève cependant d’un socle juridique international, l’Algérie ayant notamment ratifié la Convention de Genève de 1951. L’octroi du statut de réfugié repose aujourd’hui sur le Haut commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR) qui doit démontrer si des personnes sont réellement menacées dans leurs pays d’origine.
Contacté par Jeune Afrique, Abdelmoumene Khelil, secrétaire général de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), explique que certains migrants subsahariens qui arrivent en Algérie, viennent pour demander l’asile politique et que, si une partie d’entre eux déposent effectivement des demandes au HCR, les délais d’attente parfois trop longs poussent certains migrants à ne pas entamer la procédure et à chercher directement du travail, illégalement.
Le Premier ministre a toutefois annoncé l’élaboration d’un projet de loi sur le droit d’asile, afin de parer à cette situation de flou juridique.
Un nombre de migrants inconnu
Si les associations estiment le nombre de migrants à 100 000 personnes, aucune source officielle ne peut confirmer ce chiffre. Les personnes qui déposent des demandes d’asile auprès du HCR ne représentent qu’une part minime de celles présentes illégalement en Algérie.
Cette absence de données s’explique principalement par l’absence d’une politique de régularisation globale des migrants en Algérie, les régularisations ne se faisant qu’au compte-goutte et au cas par cas. En règle générale, ce sont ces campagnes de régularisations globales qui permettent aux États d’estimer le nombre de personnes présentes de manière irrégulière sur leur territoire, ce qui n’a jamais été fait jusqu’à maintenant en Algérie.
Ce n’est que récemment que le ministre de l’Intérieur a annoncé un recensement à venir des migrants présents. Le Premier ministre a également fait savoir qu’une carte sera attribuée à tout déplacé dont la présence en Algérie a été approuvée et qui donnera accès aux opportunités de travail pendant que les autres se verront rapatriés, après des discussions avec leurs pays d’origine.
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