Modernité et émancipation pour la Tunisie

Dans mes souvenirs d’enfance, le 25 juillet est un jour férié. Pour la Tunisie, c’est une date qui symbolise le passage d’une monarchie de plus de deux cent cinquante ans à une République. Le passage choisi par l’élite politique tunisienne pour entrer dans la modernité. Un temps fort qui revêt plusieurs significations, d’autant qu’une lecture de la République a été réactivée après la chute du régime, en 2011.

Un drapeau tunisien géant a été inauguré le 20 mars au parc du Belvédère, à l’occasion de la fête de l’indépendance. © Riyadh Al Balushi/CC/Flickr

Un drapeau tunisien géant a été inauguré le 20 mars au parc du Belvédère, à l’occasion de la fête de l’indépendance. © Riyadh Al Balushi/CC/Flickr

Kmar Bendana
  • Kmar Bendana

    L’historienne tunisienne Kmar Bendana est professeure d’histoire contemporaine à l’université de La Manouba, chercheure à l’Institut supérieur d’histoire de la Tunisie contemporaine (ISHTC) et chercheure associée à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC)

Publié le 3 août 2017 Lecture : 2 minutes.

Entre l’indépendance, en 1956, et la proclamation de la république, en 1957, deux voies ont été débattues pour ériger un État moderne : celle d’une monarchie constitutionnelle, formulée depuis 1920 par les acteurs politiques se prévalant d’une idéologie nationaliste, et celle d’une république, préconisée au lendemain de l’indépendance par le Néo-Destour, parti vainqueur de la lutte nationale.

En 1957, sur les 3,5 millions de Tunisiens, peu savaient lire et écrire, alors qu’aujourd’hui les débats sont marqués par la démocratisation des réseaux sociaux. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le choix d’une république a été l’objet de controverses, notamment dans les colonnes du journal Al Istiklal.

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La question d’un constitutionnalisme sur le modèle anglais a été abordée avec un solide argumentaire,­ mais la culture politique fera que la Tunisie optera pour le référentiel français, un « mode de faire » qui lui était plus familier.

L’avènement d’une deuxième République ?

Par un effet de retour des mémoires, caractéristique des transitions où tout se bouscule, et dans le souci de nommer les choses, certains évoquent, avec l’adoption de la Constitution de 2014, l’avènement d’une « deuxième République ».

Du point de vue des historiens, il faut du temps pour affirmer un tel passage. La république est un régime politique qui met en avant des principes de représentation, dont découlent des procédures de vote. On peut cependant voir des similitudes entre les deux périodes.

À l’indépendance, le régime beylical rattaché à un Empire ottoman défunt et préservé par le protectorat était à bout de souffle, comme celui de Ben Ali en 2011. En 1957, la république représentait un progrès et symbolisait une sortie de l’aliénation, une forme d’émancipation.

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Dans la volonté de rupture avec deux cent cinquante-deux ans de monarchie et un système politique dépassé, le paradoxe de l’Histoire fait que l’instauration d’un nouveau modèle de pouvoir se double du « passage en force légaliste » d’un homme, Habib Bourguiba, avec son parti, le Néo-Destour.

La stratégie de Habib Bourguiba

Les règles de séparation des pouvoirs ont été observées avec un premier acte essentiel, celui d’une Assemblée constituante qui, comme plus tard celle de 2011, a passé beaucoup plus de temps à revoir et à promulguer des lois qu’à rédiger la Constitution.

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Dispositif classique de la politique, le changement progressif par les textes a, petit à petit, rogné et sapé le pouvoir du bey en donnant plus de prérogatives à Bourguiba. Entre 1955 et 1957, une série de mesures législatives ont organisé les pouvoirs publics, comme l’a fait la « petite Constitution » de décembre 2011 : le pouvoir exécutif a ainsi été retiré à Lamine Bey (intronisé en 1943) et transféré à son Premier ministre, Habib Bourguiba.

Plusieurs signes annonçaient la mutation : les armoiries, modifiées par décret, effaçaient le symbole de la monarchie ; de nombreuses lois diminuaient les prérogatives du bey comme les biens acquis par sa famille ; des faits en apparence anodins, comme l’annulation de la fête du Trône, le 15 mai 1957, indiquaient la fin d’un processus visant à pousser le monarque vers la sortie.

Lamine Bey n’abdiquera pas. Il sera déposé par Bourguiba, devenu au grand jour l’homme fort du pays à la suite de la proclamation officielle de la république par l’Assemblée constituante. Le verrouillage effectué par Habib Bourguiba en 1963 et gelant le débat politique a eu des conséquences jusqu’à aujourd’hui.

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