La Tunisie, un rescapé en danger…
Je vous soumets ici le cas d’un pays africain et méditerranéen de 11 millions d’habitants. Son PIB annuel (revenu national) est de l’ordre de 45 milliards de dollars, ce qui en fait un pays moyennement développé.
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Béchir Ben Yahmed
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.
Publié le 27 juillet 2017 Lecture : 6 minutes.
Il s’agit de la Tunisie, qui, en décembre 2010, a donné le coup d’envoi des Printemps arabes et se trouve être, près de sept ans plus tard, le seul rescapé de cette audacieuse avancée politique. Ses dirigeants ont en effet réussi à la maintenir en paix et sur les rails de la démocratie.
Ils en ont d’ailleurs été récompensés par un prix Nobel de la paix.
À travers le monde et surtout en Occident, on soutient donc ce petit pays et son économie, mais juste assez pour lui permettre de maintenir la tête hors de l’eau ; on prie pour sa réussite, mais on n’engagera pas des milliards de dollars pour aider la Tunisie à se sauver.
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Je connais bien ce pays, qui est le mien ; je suis de près ce qui s’y passe et lis avec attention, dès leur parution, les documents qui décrivent son évolution.
J’ai donc lu le « Country Report » que le Fonds monétaire international (FMI) a rendu public le 10 juillet, en anglais (une édition française devrait être disponible dans les prochains jours). Dans ce document économico-financier de 93 pages, chiffres, tableaux et graphiques à l’appui, le FMI montre où en est la Tunisie et où elle va. Il décrit ce que font ses dirigeants pour la maintenir à flot et leur adresse ses recommandations, qui prennent souvent le ton de l’exigence. Pas de doute : bénéficiaire de l’aide du FMI, la Tunisie est déjà sous sa surveillance la plus étroite.
Je sais que le FMI passe pour un père Fouettard dont les préconisations d’inspiration libérale sont discutables et, en tout cas, difficilement applicables. Il se comporte en médecin appelé au chevet d’un malade et qui, à la lecture de ses analyses souvent très mauvaises, lui demande de renoncer à ce qui faisait jusqu’alors son quotidien.
Mais si les préconisations du FMI méritent débat, ses constats et les chiffres qu’il avance ne sont en revanche jamais contestés. Que dit-il dans son « Country Report » que tout dirigeant tunisien, voire tout citoyen de ce pays qui en a la compétence, devrait lire ?
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En termes diplomatiques, en arrondissant les angles et en évitant de heurter les dirigeants du pays, ses auteurs affirment, au nom de leur institution, que la Tunisie et son économie sont dans de très mauvais draps et même que leur échec est programmé ; que les efforts du gouvernement sont insuffisants et inadéquats.
Les auteurs de ce diagnostic du FMI évoquent à l’appui de leur thèse d’innombrables objectifs jamais atteints, de nombreuses décisions jamais suivies d’effet ou reportées sine die.
L’introduction de l’ouvrage le résume :
« La transition politique se poursuit en Tunisie, mais le mécontentement demeure élevé parmi les citoyens. Après avoir stagné en 2015 et 2016, la croissance va repartir et devrait atteindre 2,3 % en 2017, essentiellement grâce au tourisme et à l’exploitation du phosphate. Les investissements restent insuffisants, handicapés qu’ils sont par diverses déficiences structurelles, un taux de change surévalué et une perte de confiance suscitée par les attaques terroristes de 2015. […] Les dérapages du budget de l’État continuent de creuser le déficit courant, qui a atteint 10 % du PIB au premier trimestre de 2017. »
Le FMI a néanmoins aidé la Tunisie ; il continuera de le faire pour des raisons politiques : les Occidentaux qui le dirigent ont pris la décision stratégique de veiller sur la Tunisie, mais ils ne vont pas jusqu’à faire en sorte qu’elle se redresse et retrouve sa bonne santé économique. Leur seul objectif est de lui maintenir la tête hors de l’eau.
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Le FMI remplira cette mission, sans illusion : dans son rapport transparaissent entre les lignes un profond pessimisme et la conviction que son actuel gouvernement dit d’union nationale ne parviendra pas à sauver son pays de la déroute économique.
À la place de Youssef Chahed, qui occupe le poste de Premier ministre depuis près d’un an, on en perdrait le sommeil. Pour faire prendre conscience à ses compatriotes de la gravité de la situation, il devrait en tout cas publier, en arabe et en français, une synthèse simplifiée du rapport. De sorte que la majorité des dirigeants, voire l’ensemble des citoyens, comprennent que les lendemains risquent d’être très difficiles.
Notre bimestriel La Revue, dont le prochain numéro paraîtra fin août, consacrera plusieurs pages au contenu de ce document pour permettre à ses lecteurs tunisiens de savoir ce que le FMI pense de la situation de leur pays. Et ce qu’il prévoit pour lui.
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Avec ou sans le FMI et son rapport, ceux qui suivent l’évolution de la Tunisie savent que le pays a commencé sa descente aux enfers au cours de la dernière décennie du régime dictatorial mis en place par Zine el-Abidine Ben Ali.
Il a décroché dès 2005, mais c’est à partir de 2011, avec ce que les Tunisiens appellent à tort « la révolution », que le pays et son économie ont commencé à se déglinguer.
La responsabilité des islamistes du parti Ennahdha dans cette évolution est écrasante. Pour le malheur de la Tunisie, ils l’ont dirigée dès la chute de la dictature et continuent depuis d’y jouer un rôle moteur. Comme pour aggraver la situation, l’actuel président de la République, pourtant élu pour les écarter des centres de décision, a trouvé plus commode ou plus habile, en tout cas plus conforme aux engagements qu’il a pris vis‑à-vis d’eux, de les associer au pouvoir.
Or, quelles que puissent être par ailleurs leurs qualités, les islamistes sont, au moins en Tunisie, foncièrement hostiles à la démocratie et n’ont feint de se rallier à ses principes que par opportunisme.
Ayant accédé au pouvoir, ils ont révélé leur incompétence absolue en matière économique.
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Sous leur influence directe, l’endettement extérieur a doublé, ou presque, en six ans, passant de 45 % à 72 % du PIB. Et le FMI n’exclut pas que la barre des 100 % soit franchie au cours des prochaines années.
Cet endettement atteint d’ores et déjà la somme très élevée de 6 000 dinars (2 100 euros) par Tunisien, adulte ou enfant.
Les gouvernements dirigés par ces mêmes islamistes ont, dans les secteurs public et parapublic, augmenté les effectifs et les salaires de manière vertigineuse. Le FMI relève que cette charge – son pourcentage du PIB est l’un des plus élevés au monde – ruine tout espoir de redressement : elle représente 50 % du total des charges et engloutit les deux tiers du produit des impôts.
Et l’actuel gouvernement n’a pas vraiment les moyens de l’alléger. La Tunisie s’en trouve suradministrée et sous-gouvernée. Autrement dit, proche de l’immobilisme.
Il est hélas exclu que le chef du gouvernement parvienne à mettre en œuvre ne serait-ce que la moitié des préconisations du FMI pour stopper ou seulement freiner le naufrage économique.
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L’investissement, national ou étranger, est au point mort ; le dinar tunisien, la monnaie nationale, s’est déprécié de 23 % en deux ans et sa chute n’est pas enrayée : le FMI l’annonce et affirme la souhaiter.
La caisse de stabilisation continue pour sa part de subventionner l’énergie et les principaux produits de première nécessité.
Produisant peu, le pays n’exporte pas assez et importe à tout-va. Il en résulte que son déficit commercial se maintient, voire s’aggrave. L’octroi d’une aide internationale forte et permanente devient une nécessité vitale.
Ce que le FMI ne dit pas, parce qu’il évite soigneusement d’aborder l’aspect politique du problème, c’est que le régime parlementaire imposé, une fois encore, par les islamistes, avec mise en place d’une Constitution qui partage le pouvoir entre le président et le Premier ministre, contrecarre ou retarde toutes les décisions socio-économiques. Il ne convient certainement pas à un pays économiquement en perdition.
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Le gouvernement et son chef promettent d’agir. Ils le devraient, sans doute, mais en sont bien incapables. L’équipe au pouvoir est d’ailleurs loin d’être soudée et, en Tunisie, on ne parle que du remaniement attendu ou en cours. On en attend beaucoup, il n’aura pas d’effet !
Sauf si les islamistes en profitent pour affirmer leur influence sur le pays.
Dans ces conditions, la Tunisie sera, dès la rentrée de septembre et en tout cas à partir de 2018, dans une situation critique.
On est en droit, et même en devoir, de se poser deux questions dont je mesure la gravité : La Tunisie aura-t-elle, dans deux ans, le même Premier ministre ? Le mandat de l’actuel président de la République, de même que la législature de l’Assemblée des représentants du peuple, arriveront-ils à leur terme, en 2019 ? Et si oui, dans quel état ?
Avec cet édito, j’interromps les « Ce que je crois » pour quelques semaines de repos. Je souhaite de bonnes vacances à ceux de mes lecteurs qui en prennent. Et formule l’espoir de vous retrouver à cette place le 24 septembre.
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