Côte d’Ivoire : à Yopougon, les sinistrés des pluies se sentent oubliés

Depuis le début de la saison pluvieuse, au moins vingt personnes sont mortes en Côte d’Ivoire du fait d’inondations ou de glissements de terrain. Dans certaines communes d’Abidjan, les habitants des quartiers sinistrés vivent dans la crainte de nouvelles pluies diluviennes, parfois sans solution de relogement malgré les promesses d’aide financière. Reportage à la cité Coprim, à Yopougon.

Un immeuble effondré dans le canal de la cité Coprim, à Yopougon, début juillet 2017. © Jeune Afrique

Un immeuble effondré dans le canal de la cité Coprim, à Yopougon, début juillet 2017. © Jeune Afrique

Publié le 24 juillet 2017 Lecture : 3 minutes.

Don Paul Kohou regarde avec crainte l’imposante fissure qui strie depuis peu les murs de sa chambre. Si une partie de sa maison, nichée au bord du canal de terre de la cité Coprim à Yopougon, tient encore en partie debout, ce n’est plus le cas de celle de son voisin. Après des pluies diluviennes, une partie de l’immeuble d’à côté s’est brutalement effondrée dans le canal, le 25 mai dernier, entraînant dans sa chute une partie de sa petite villa.

Depuis le début de la saison pluvieuse, le fonctionnaire de 59 ans a vu des pans entiers de deux autres immeubles se fracasser dans le canal, qui a aussi englouti six autres villas basses. Malgré les impressionnants dégâts, Don Paul Kohou « remercie Dieu » : jusqu’à présent, les dommages ne sont que matériels. Seule une femme a été légèrement blessée. Elle était chez elle lorsque sa maison s’est effondrée après un énième glissement de terrain.

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Contraints de dormir ailleurs

Dans cette partie de la cité Coprim, l’absence de victimes s’explique d’abord par les réflexes développés par ses habitants. De mémoire de riverain, le premier éboulement remonte à juin 2015. Depuis, à chaque pluie, les occupants des 48 habitations nichées en bordure de canal ont donc pris l’habitude de s’éloigner de leurs maisons par peur de nouveaux glissements de terrain. « Nous ne pouvons pas prendre le risque de dormir chez nous lorsqu’il pleut, nous avons peur que tout s’effondre. Nous sommes contraints de dormir à l’extérieur, en face, ou chez ceux qui peuvent nous accueillir », s’indigne Rigobert Blaka, dont la maison penche désormais dangereusement vers le canal.

La plupart des riverains en veulent à la mairie de Yopougon. Ils assurent que la commune leur avait annoncé en décembre 2015 la réfection tant attendue du canal. Car il y a encore une dizaine d’années, le fossé de terre avait l’envergure d’un petit caniveau que les riverains pouvaient enjamber d’un simple saut. Mais la vigueur des dernières saisons pluvieuses, couplée à la construction d’ouvrages ne laissant pas l’eau s’écouler, ont considérablement creusé le lit de la rigole.

La mairie pointée du doigt

Faute de travaux, le petit canal s’est depuis transformé en un ravin de plus de dix mètres de large par endroit. « Si des travaux avaient été faits pour l’aménager et le consolider, il n’y aurait jamais eu ces glissements de terrain et nos maisons n’auraient pas été mises en danger », déplore Don Paul Kohou, devenu le porte-voix de l’association informelle des habitants de la cité.

On nous dit de quitter les lieux, mais nous n’avons pas les moyens de partir

Des critiques que balaie la mairie de Yopougon. « La mairie n’a ni les moyens, ni les prérogatives pour effectuer ces travaux, qui relèvent de la compétence de l’État », assure Yaya Coulibaly, directeur de cabinet du maire de la commune, Gilbert Koné Kafana. « Chaque année, le maire demande aux personnes vivant dans des zones à risque de quitter les lieux », tient-il également à préciser.

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Reste que les habitants, dont les économies d’une vie ont pour la plupart été investies dans ces maisons, n’ont pas les moyens de se reloger. « On nous dit de quitter les lieux, mais nous n’avons pas les moyens de partir : les logements sont trop chers à Abidjan pour que nous nous logions ailleurs », rétorque Don Paul Kohou.

« Nous vivons dans nos maisons la mort dans l’âme »

Des sinistrés que les autorités se sont pourtant engagées à aider. Le 14 juin dernier, une délégation ministérielle est venue promettre des travaux, ainsi qu’une enveloppe financière aux riverains. « Les propriétaires des 48 villas se sont ensuite vus proposer 300 000 Francs CFA [457 euros, NDLR] pour se reloger provisoirement. Mais pour l’instant nous sommes seulement six riverains à avoir reçu l’argent. Quarante-deux autres attendent toujours. Le dossier traîne, et nous ne savons toujours pas quand commenceront les travaux », déplore Don Paul Kohou, qui fait partie des six premiers bénéficiaires.

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En attendant, le canal continue de s’élargir, creusé par les eaux usées et les ordures qui s’y accumulent. Un quatrième immeuble, toujours habité, menace désormais de s’effondrer. « On évoque l’incivisme et l’inconscience des personnes qui continuent de vivre dans les zones dangereuses, mais comment ceux qui n’ont pas l’argent pourraient-ils faire pour en partir ? », s’indigne Don Paul Kohou. Avant de lâcher, amer : « Nous vivons dans nos maisons la mort dans l’âme. »

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