À Buenaventura, les afro-descendants colombiens démunis face à la violence des narcotrafiquants
La ville est connue pour être l’une des plus dangereuses au monde. Posée sur la côte Pacifique à l’ouest de la Colombie, Buenaventura est peuplée par près de 90% d’Afro-Colombiens qui réclament des garanties financières et sociales à l’État. Un reportage coécrit par Najet Benrabaa et Sarah Nabli.
Sur la côte Pacifique à l’ouest de la Colombie, Buenaventura est l’un des principaux ports d’Amérique Latine, qui totalise 60% des exportations du pays. Mais ce commerce florissant ne profite en rien aux habitants, comme en atteste un taux de chômage qui tourne autour de 40 %. Officiellement, Buenaventura compte 400 000 habitants, mais c’est en réalité près d’un million de personnes qui s’entassent dans des quartiers délabrés rongés par l’humidité.
La population est composée à 90 % par des Afro-Colombiens, dont une grande partie de déplacés du Choco, la région la plus affectée par les conflits avec les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie, qui viennent de déposer les armes), les groupes paramilitaires et le narcotrafic. Les Afro-Colombiens sont des descendants d’esclaves débarqués entre 1510 et 1851 par centaines de milliers sur la côte caraïbe au nord du pays. Originaires du Sénégal, du Congo ou de l’Angola, ceux-ci servaient de main-d’œuvre aux Conquistadors notamment dans les mines d’or et d’émeraude colombiennes. Les premiers habitants de Buenaventura étaient donc des affranchis ou des esclaves qui avaient réussi à s’enfuir pour se réfugier et construire une nouvelle vie dans cette région tropicale.
Une ville abandonnée par les autorités
Buenaventura s’est imposée au fil des décennies comme une ville stratégique pour les narco-trafiquants qui en ont fait une plaque tournante de la drogue. Les Urabeños et les Empresa, gangs ennemis tous deux successeurs des groupes paramilitaires formés pour combattre la guérilla des FARC, terrorisent au quotidien les habitants de la ville.
Dans les quartiers au bord de la mer, les maisons sur pilotis aux toits de taule risquent de s’effondrer à tout moment. Quelques enfants jouent pieds nus sur le labyrinthe de pontons, de simples planches de bois, entre les maisons. L’odeur nauséabonde des déchets dans l’eau stagnante est prenante. Plus de 65 % de la population de Buenaventura vit en deçà du seuil de pauvreté, et 35 % des habitants sont sans eau potable ni tout-à-l’égout. Dans certains quartiers aucune école n’est présente…
La colère des habitants
« En 2015, huit personnes des groupes paramilitaires nous ont sortis de chez nous, et ils ont tué mon beau-frère à une rue de chez nous. » Ces mots sont ceux de Leonardo Renteria. Cet Afro-colombien de 27 ans est né et a grandi à Buenaventura. Il ne quitterait pour rien au monde sa ville même en danger. Il est escorté par un garde du corps et poursuit son travail de militant social et culturel. À travers son association Rostros Urbanos, il défend les victimes du conflit armé et de la violence tout en faisant la promotion de la culture et de ses origines afros pour transformer l’avenir des jeunes.
En mai dernier, des milliers d’Afro-Colombiens sont descendus dans la rue pour crier leur ras-le-bol et bloquer l’accès à la ville pendant plusieurs semaines
Au cœur du centre-ville, sur le front de mer, des grues et des camions s’activent encore pour terminer un projet de rénovation vieux de deux ans. Ce n’est qu’un exemple du manque d’infrastructures de la ville. Leonardo Renteria décrit une situation catastrophique : « On n’a pas d’eau, même pas 12h par jour, certains la reçoivent deux heures, d’autres rien pendant des mois. Il n’y a pas d’hôpital. La majorité des soins médicaux est effectuée par un hôpital privé hors de prix. »
Misère et abandon de l’État ont favorisé la montée de la violence. Alors en mai dernier, des milliers d’Afro-Colombiens sont descendus dans la rue pour crier leur ras-le-bol et bloquer l’accès à la ville pendant plusieurs semaines. Ils réclamaient plus d’investissements notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Leonardo Renteria a pris la tête de ce mouvement avec d’autres.
Les paramilitaires avaient des « maisons abattoirs » où ils tuaient des personnes… on entendait les cris
Ils attendaient avec impatience le 20 juillet quand le gouvernement colombien devait présenter une loi pour créer un fonds d’investissement sur dix ans pour la ville. Mais le projet a été repoussé. Les autorités souhaitant réviser de nouveau le texte pour, disent-elles, le renforcer à l’aide d’une délégation de Buenaventura…
La lutte contre la violence
En attendant, l’absence des autorités a poussé un quartier à monter sa propre résistance face aux bandes criminelles et aux forces paramilitaires en avril 2014. Désormais, cet « espace humanitaire » de Puente Nayero protège 208 familles dans des maisons au bord de l’eau faites de bois ou de briques. L’entrée est barricadée par la police et l’armée. Une coordination d’une dizaine de personnes permet d’assurer le fonctionnement des lieux.
Nora Isabel Castillo, l’une des fondatrices du mouvement, assure qu’elle ne laissera plus le mal y entrer. « La première chose que les paramilitaires ont fait pour semer la terreur dans la communauté a été de tuer un jeune, comme ça, en plein jour, à 9h du matin. Les gens ne sortaient plus après 18h. Les jeunes filles subissaient des abus sexuels. Ils avaient des « maisons abattoirs » où ils tuaient des personnes et on entendait les cris. » décrit-elle.
Mais la violence s’est déplacée comme à la comuna 12, une des communes les plus grandes. Malgré un renforcement de la présence militaire et policière depuis 2014, les frontières invisibles, les bandes criminelles, les narco-trafiquants régissent encore la vie des Afro-Colombiens de Buenaventura.
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