Mourad Benchellali, ex-prisonnier de Guantanamo : « La déradicalisation, c’est un concept flou »
L’ancien prisonnier de Guantanamo, où il a passé deux années après avoir été capturé en Afghanistan, revient pour Jeune Afrique sur les dernières évolutions de son action judiciaire contre l’administration américaine et donne son point de vue sur la « déradicalisation ».
Mourad Benchellali, Français d’origine algérienne né en 1981, a passé deux ans enfermé dans le camps de Guantanamo, le centre de détention militaire géré par l’armée américaine. Il avait été capturé en 2001 en Afghanistan où, durant deux mois, il a résidé dans un camp administré par Al-Qaïda. Aujourd’hui revenu en France, où il est défendu par l’avocat Me William Bourdon, il mène une action judiciaire aux côtés de deux autres ex-détenus français, Nizar Sassi et Khaled Ben Mustapha, tous trois se disant victimes de torture et de détention arbitraire. Il a aussi récemment rejoint Action résilience, un think tank lancé par le journaliste français et ancien otage en Syrie, Nicolas Hénin.
Jeune Afrique : Pourquoi demandez-vous une audition de l’ancien président des États-Unis, Georges Bush, et de son secrétaire d’État à la Défense, Donald Rumsfeld ?
Mourad Benchellali : Notre plainte remonte à 2005 et depuis les choses n’ont pas cessé d’évoluer. Nous avions demandé l’audition de plusieurs témoins, notamment celle de l’ex-commandant de la base de Guantanamo. Dans son cas, la justice française a en effet ordonné son audition en 2016, mais la justice américaine a refusé de collaborer. Il y a quelques semaines, devant les blocages, la juge française a notifié la clôture de l’instruction. Nous avons donc déposé une dernière demande d’audition de Bush et de Rumsfeld. C’est notre ultime recours.
Pensez-vous sincèrement qu’il y a un espoir de voir des personnes comme George Bush et Donald Rumsfeld être auditionnées par la justice ?
J’étais plutôt sceptique, mais il faut bien y croire… Cela arrive que des dirigeants soient entendus par des juges. Si ce n’est pas le moment, alors il restera le principe : des citoyens qui ont exigé la justice.
Pour ma part, je ne crois pas qu’il y ait une technique qui permette de déradicaliser n’importe quel individu
Quelle est votre rôle dans Action résilience, le think tank lancé par Nicolas Hénin ?
Les choses se mettent en place petit à petit, mais je serai a priori actif sur le volet de l’aide à la réinsertion. C’est une activité qui m’est plus ou moins familière : en plus d’être formateur, ça fait un moment que je sillonne la France pour parler de mon expérience, de la réinsertion, de ce qui m’a amené à voyager en Afghanistan, de la violence, de la réception de discours radicaux. Et je rencontre même des détenus, quand on m’en laisse l’occasion…
Depuis peu, le principe de « déradicalisation » est remis en question. Qu’en pensez-vous ?
La déradicalisation, c’est un concept un peu flou, un mot fourre-tout, ça ne veut pas dire grand-chose. Pour ma part, je ne crois pas qu’il y ait une technique qui permette de déradicaliser n’importe quel individu. L’idée c’est plutôt d’accompagner les personnes qui ont déjà d’elles-mêmes fait part d’une volonté de changement. Là, on peut intervenir, aider la personne à renouer avec le monde. La question, de toute manière, est nouvelle et on ne peut pas encore tirer de conclusions définitives. Le centre de déradicalisation Mohammed Ben Nayef, en Arabie Saoudite, se vante de mener à bien sa mission. Mais ses moyens – une déradicalisation religieuse, menée sous la houlette de oulémas salafiste -, répond au contexte saoudien de prisonniers très conservateurs aux motivations largement religieuses. Toutes les expériences doivent encore être étudiées.
C’est d’ailleurs une spécificité française : pas mal de jeunes qui partent n’ont vraiment aucune connaissance religieuse solide
Avez-vous l’oreille des autorités françaises ?
À titre personnel, j’ai pu m’exprimer devant une Commission d’enquête du Sénat, en 2014. J’ai aussi pu, ça et là, donner mon point de vue sur des sujets précis, comme les fameuses « unités dédiées » [cellules de regroupement d’individus radicalisés mises en place et abandonnées en 2016, NDLR], dont j’ai dit que je pensais que c’était une mauvaise idée. Sinon, pour être honnête, je crois que je suis un peu indésirable. On ne veut pas d’un ancien de Guantanamo sur la photo souvenir, alors je suis peu convié aux événements dédiés à ces questions.
Il y a aussi le débat de fonds. Pourquoi les jeunes partent-ils ? Les racines du mal sont-elles religieuses ou sociales ? Quel est votre point de vue sur ces questions ?
Je pense qu’il y a plusieurs dynamiques à l’œuvre. Après les premiers départs en 2011, qui répondaient à des motivations politiques, des volontés de défendre une communauté agressée, il y a eu une vague de départs en 2013 de gens parfois très jeunes, qui partaient avec une incroyable naïveté. Les questions se mêlent et se superposent mais, en effet, on remarque que se pose la question de la maîtrise du corpus religieux.
C’est d’ailleurs une spécificité française : pas mal de jeunes qui partent n’ont vraiment aucune connaissance religieuse solide. Il faut arriver à offrir de l’espace à des autorités religieuses compétentes et légitimes, sans empiéter sur les principes de laïcité. Mais lorsqu’un jeune ne conçoit plus son avenir que dans un pays en guerre, on doit aussi se poser la question de savoir où la société a fait défaut.
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