Mali – Moctar Mariko : « Les libérations d’auteurs présumés de violences nous atterrent »
La libération, le 15 août dernier, de l’ancien juge islamique de Tombouctou – notamment responsable d’avoir fait pratiquer des amputations -, a suscité les protestations de l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH). Son président, Me Moctar Mariko, explique pourquoi selon lui, à cause du manque de justice, le Mali « retourne à la case départ » . Interview.
Depuis la signature des accords préliminaires de Ouagadougou, le 18 juin 2013, des libérations de prisonniers se multiplient au titre des "mesures de confiance" entre l’État malien et les groupes armés –condition préalable à une reprise du dialogue entre les différentes parties. Mais des voix s’élèvent contre cette "realpolitik". La libération de l’ancien juge islamique de Tombouctou, Ag Alfousseyni Houka Houka, le 15 août dernier, a en particulier déclenché une vive polémique. Me Moctar Mariko, président l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH), explique son point de vue.
Jeune Afrique : le juge islamique de Tombouctou, membre d’Ansar Dine, a été libéré au nom des mesures de confiance entre l’État malien et le groupes armés. Quelle est votre position sur ces libérations ?
Me Moctar Mariko : Ces libérations nous atterrent. Le juge islamique de Tombouctou a ordonné des amputations, des privations de liberté, des souffrances énormes pour la population. Seuls les juges peuvent apprécier la gravité de ces faits. Mais si les politiques s’en mêlent, nous ne construirons pas une paix durable au Mali. Ces libérations sont le fait du gouvernement malien qui les a négociées en échange de celles d’environ 45 militaires maliens, pris à Kidal le 21 mai. Mais la paix n’est pas politique, elle est pour tout le monde.
Libérer ces prisonniers, auteurs présumés des violences perpétrées dans le nord du pays, et leur demander de s’asseoir à la même table que leurs victimes, cela ne crée que des frustrations et une soif de revanche. La constitution de milices armées dans le nord du pays n’est pas autre chose que l’illustration de cette frustration de la population, qui veut maintenant se faire justice elle-même.
Les coupables paradent à Gao, à Tombouctou, et les populations qui les ont dénoncées refusent désormais de témoigner, notamment par crainte des représailles.
Avez-vous pu constater des avancées dans les enquêtes sur les violences commises dans le nord du Mali ?
Nous avons pu faire venir les victimes à Bamako, avec l’aide de la Minusma, afin de les faire témoigner. Elles ont pu être entendues, et leurs témoignages ont été versés aux dossiers. Malgré cela, des responsables présumés sont libérés. Depuis la signature des accords de Ouagadougou, on parle d’une justice pour les victimes… Mais des prisonniers sont libérés sans être jugés, ou parce que le mandat de dépôt est expiré, que leur dossier est vide et que les juges n’ont pas eu le temps de les confronter aux témoins.
Selon le gouvernement malien, ces libérations ne devraient pas empêcher de porter plainte, ensuite, contre les responsables de crimes…
Ce n’est pas comme si l’on pouvait retrouver les auteurs en une heure de temps ! Le nord du Mali est immense. Ce sera extrêmement difficile de retrouver ces gens. Entre temps, nous perdons des preuves, certaines victimes, des témoins, disparaissent elles aussi. Les coupables paradent à Gao, à Tombouctou, et les populations qui les ont dénoncées refusent désormais de témoigner – notamment par crainte des représailles. À quoi cela nous mène ? Nous sommes en train de retourner à la case départ.
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Propos recueillis par Dorothée Thiénot
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