Moi, Hedi Sahly, homosexuel et activiste, j’ai dû fuir la Tunisie

Hedi Shaly est le vice-président de Shams Tunisie, une association qui milite pour les droits des LGBT, dans un pays où l’homosexualité est punie par la loi. Il est aujourd’hui demandeur d’asile en France, suite aux menaces de mort qui pèsent contre lui et sa famille.

Association Shams © Facebook/Shams

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Publié le 26 juillet 2017 Lecture : 5 minutes.

À l’occasion de la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie, ce 17 mai 2019, nous republions ce portrait réalisé en juillet 2017.

« Quand nous avons créé Shams pour la dépénalisation de l’homosexualité en Tunisie, c’était avant tout pour sortir de l’ombre, et profiter de l’élan de la révolution. À cette époque, je ne mesurais pas les risques de mon engagement, ni combien ma vie changerait. Nous étions six amis, six membres fondateurs et en seulement quelques années, notre monde a été chamboulé. Entre l’exil, les agressions et les tentatives de suicide, nous avons tous eu notre lot de malheurs. Et pourtant si c’était à refaire, je le referais sans hésiter.

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Partir n’a pas été une décision facile à prendre. Avant Shams, jamais je n’aurais pensé quitter la Tunisie, laisser ma mère. Il m’a fallu trois années de réflexion et une série de menaces pour envisager de m’exiler.

Mes études et ma familles ont pâti de mon engagement

En 2012, les choses étaient plutôt calmes, nous n’étions pas encore connus du grand public. C’est la médiatisation qui a marqué un point de non retour pour nous tous. Bouhdid Belhedi a été le premier à s’exposer sur le plateau de Nessma. Après l’émission, il n’a même pas pu rentrer chez lui : des salafistes l’attendaient devant sa maison. Peu après son intervention, un prêche appelant à son assassinat a été lancé. Nous avons du le cacher, pour le protéger d’éventuelles représailles.  

C’est après mon passage à la télé que tout a basculé

En tant que vice-président de l’association, il était de ma responsabilité de prendre la relève. J’ai donc participé à une émission télévisée très populaire en Tunisie, Labes, diffusée sur la chaîne d’Elhiwar Ettounsi. Et comme pour Bouhdid, c’est après cette intervention que tout a basculé pour moi.

Mes études de droit ont été les premières à en pâtir. Des membres de l’Union générale des étudiants de Tunisie (Uget), le syndicat étudiant dont je faisais partie à l’époque, m’ont interdit l’accès à mon université. J’ai tenté d’en parler au doyen de l’université, mais il a refusé d’intervenir en ma faveur.

Moi qui étais bon élève, j’ai vu mes ambitions partir en fumée parce que j’étais homosexuel et activiste

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Un de mes professeurs, un avocat très respecté dans son milieu, m’a aussi assuré que tant que lui serait examinateur au concours du barreau, je ne serai jamais avocat, peu importe les résultats que je pourrais obtenir. Selon lui, la communauté des avocats n’avait nullement besoin de personnes comme moi, qui allaient salir la profession. Moi qui avais toujours été bon élève, qui étais passionné par mes études, j’ai vu mes ambitions partir en fumée, parce que j’étais homosexuel et activiste.

Ensuite, c’est ma famille qui a commencé à souffrir des conséquences de mon exposition médiatique. Mon petit frère a été victime de violences physiques dans son lycée, car il faisait partie de mon entourage. Désormais, il ne fréquente même plus son établissement scolaire, les autres élèves lui ont rendu la vie impossible. Mon père a été dérangé sur son lieu de travail, ma mère a été agressée verbalement alors qu’elle faisait ses courses au marché…. 

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Les autorités ont refusé de nous protéger

La situation s’est encore dégradée par la suite. La Troïka est arrivée au pouvoir [de 2011 à 2014, NDLR], et les extrémistes et la mouvance salafiste ont prospéré dans le pays. Avec d’autres membres de l’association, j’ai été convoqué par le ministère de l’Intérieur. Là-bas, on nous a demandé de nous faire discrets, car nous étions tous sujets à des menaces de mort récurrentes. On nous a aussi informé que dans une vidéo, le groupe terroriste Katibat Okba Ibn Nafaâ avait diffusé des photos des membres de Shams et lancé des appels au meurtre à leur encontre. Nous avons demandé une protection, qu’on nous a refusée. Pourtant, à ce moment-là, de nombreux blogueurs, artistes ou hommes politiques bénéficiaient d’une sécurité offerte par l’État…

Un prédicateur est venu jusqu’à chez moi, me dire qu’il allait tout faire pour me punir

Outre un harcèlement virtuel permanent − vidéos et messages d’insultes notamment −, les menaces sont devenues de plus en plus réelles. Une fois, un prédicateur est même venu jusqu’à chez moi. Il m’a dit qu’il allait tout faire pour me punir et qu’aucun de mes proches ne serait épargné.

La peur ne m’a alors plus quitté. À chaque fois que je sortais de chez moi, je vérifiais si quelqu’un m’attendait dehors. J’avais une boule au ventre à chacun de mes déplacements. Mon père a même dû installer des caméras de surveillance autour de notre maison. Même chez moi, je ne me sentais plus en sécurité. Je vagabondais, je dormais chez les uns et les autres, en espérant qu’il ne m’arriverait rien.

La police, elle aussi, harcelait mon père. Des hommes le contactaient pour lui dire de me calmer et de faire pression sur moi pour que je quitte Shams. Si notre exposition médiatique nous permettait au moins de nous épargner une éventuelle arrestation pour homosexualité, les forces de l’ordre n’étaient clairement pas de notre côté. Nous étions tous harcelés et malmenés par la police dès que l’occasion se présentait.

Nous sommes allés porter plainte, les policiers nous ont dit que nos agresseurs auraient dû nous tuer

Je me souviens, qu’une fois, mon copain et moi avons été agressés et, malgré les risques, nous sommes allés porter plainte. Au centre de police, nous avons encore une fois été tabassés et insultés, les policiers nous ont même dit que nos agresseurs auraient dû nous tuer.

En décembre 2015, je suis parti en France

En Tunisie, aucun homme politique n’a pu nous aider. Même ceux qui se disaient de notre côté, étaient dans l’incapacité de faire quoique ce soit. « Il y’a d’autres priorités pour l’instant, la dépénalisation de l’homosexualité attendra. » Cette phrase, on nous l’a répétée d’innombrable fois.

Ce n’est que quelques jours avant mon départ, que j’ai compris que je ne pouvais plus rester dans mon pays. Un jour, dans mon jardin, j’ai retrouvé des vêtements à moi, couverts de sang. Le message était clair : en restant en Tunisie, je risquais bel et bien de mourir.

Un jour, dans mon jardin, j’ai retrouvé des vêtements à moi, couverts de sang

Les choses sont alors allées très vite. Mon oncle qui travaille au ministère de l’intérieur a reçu des informations à mon sujet, assez graves pour me demander de quitter le territoire au plus vite. Il m’a assuré que je n’avais plus le choix. Puisque le ministère de l’Intérieur ne voulait toujours pas m’offrir sa protection, l’exil était devenue ma seule option.

Alors, en décembre 2015, je suis parti. J’ai eu beaucoup de mal à accepter l’idée d’un départ forcé. Mon corps a bel et bien fui en France, mais mon esprit, lui, est resté là-bas. Ces derniers jours, je commence enfin à me sentir mieux. Je vais reprendre le combat. Puisqu’ici je suis libre de parler, alors je parlerai pour tous ceux qui n’ont d’autre choix que de se taire en Tunisie. 

Je sais que ce ne sera pas simple, que la route est encore longue mais je suis convaincu qu’un jour je pourrai enfin rentrer chez moi. »

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