Pour les Tunisiennes, une loi qui change tout
Décidément, la Tunisie ne fait rien comme les autres pays arabes. Ceux qui, depuis la « révolution » du 14 janvier 2011, la regardent de haut parce qu’elle se débat, sans guide ni boussole, dans un processus lent et difficile visant à instaurer une démocratie prospère devraient observer avec attention les événements dont elle est aujourd’hui le théâtre.
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 31 juillet 2017 Lecture : 3 minutes.
Ce 26 juillet, Naziha Laabidi, la ministre de la Femme, peinait à masquer son émotion après l’adoption par l’Assemblée nationale d’une loi véritablement historique sanctionnant les violences faites aux femmes. Toutes les violences, qu’elles soient le fait d’un mari, d’un frère, d’un parent, d’un employeur ou d’un citoyen lambda ; qu’elles soient physiques, bien sûr, mais aussi morales, sexuelles ou économiques. Le texte a été adopté – excusez du peu ! – à l’unanimité des 146 députés présents (sur 217 élus).
Bien que considérée, à raison, comme une pionnière en matière de défense des droits des femmes dans la région, et bien que sa Constitution adoptée en 2014 soit une des seules à avoir gravé dans le marbre que « les citoyens et citoyennes sont égaux en droits et devoirs », force est de reconnaître que les comportements et les mesures rétrogrades avaient fâcheusement tendance à perdurer, se fondant notamment sur un code du statut personnel qui fait de l’homme le chef de famille et maintient d’insupportables discriminations en ce qui concerne, par exemple, l’héritage : pourquoi les Tunisiennes devraient-elles toucher une part inférieure à celle de leurs frères ?
L’égalité parfaite n’est encore qu’un rêve
Et ne parlons même pas de l’interdiction qui leur est faite d’épouser un non-musulman, alors que l’inverse est possible. Ni de cette disposition moyenâgeuse – que la nouvelle loi, heureusement, abroge – qui prévoyait l’extinction des poursuites contre l’auteur de violences sexuelles dès lors qu’il acceptait d’épouser sa victime. À en croire une étude réalisée en 2010 par l’Office national de la famille, presque une femme sur deux affirme avoir subi au cours de sa vie « une ou plusieurs formes de violence ». Le chantier était donc d’importance.
Le bon chemin
Bien entendu, l’égalité parfaite n’est encore qu’un rêve, mais au moins la Tunisie a-t-elle pris le bon chemin – pour ce qui est de la démocratie, aussi, d’ailleurs. D’autant que le champ d’application de cette loi est très large. De nouvelles dispositions pénales comme la sévérité accrue des peines existantes ont été validées. S’y ajoutent de nouveaux délits, comme le harcèlement sexuel dans les lieux publics – une pratique, hélas ! fréquente –, l’utilisation d’enfants comme employés de maison ou l’instauration intentionnelle de discriminations salariales.
D’indispensables mesures de prévention sont prévues : création par le ministère de la Santé de programmes de formation des personnels médicaux aux méthodes de détection des violences ; création de programmes du même type destinés aux éducateurs et aux enseignants ; mise en place de mesures de soutien juridique, psychologique et médical au bénéfice des victimes (sans que celles-ci soient contraintes de déposer plainte au pénal) ; création au sein des forces de police d’unités spécialisées dans la répression des violences familiales ; nomination dans chaque gouvernorat d’un procureur ne traitant que ce type d’affaires…
Ce n’est pas demain que les Tunisiennes bénéficieront d’un statut équivalent en tout point à celui des Tunisien
Ne nous y trompons cependant pas : cette loi est une étape importante, capitale même, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Ce n’est pas demain que les Tunisiennes bénéficieront d’un statut équivalent en tout point à celui des Tunisiens. C’est affaire de temps (les mentalités n’évoluent que lentement), d’argent (car il va bien falloir financer les mesures inscrites dans le nouveau texte) et surtout de volonté. Et pas seulement celle des politiques. Car cette loi est le fruit du combat de la société civile tout entière, et celui des femmes en particulier, qui refusent tout archaïsme et se battent pour la modernité. Avant, les progrès en la matière étaient souvent le fait du prince, du zaïm : Bourguiba puis, dans une moindre mesure, Ben Ali. N’en déplaise aux esprits chagrins, c’est bien la preuve que certaines promesses de la révolution tunisienne ont été tenues.
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