Algérie : Raconte-Arts, le festival kabyle qui monte
Pour sa 14ème édition, qui s’achève ce lundi, le festival d’arts itinérant s’est installé à Aït Ouabane, un village isolé de Kabylie. Avec toujours le même objectif : redynamiser des territoires délaissés. Reportage.
Il est plus de 2 heures du matin et les conteurs continuent de défiler à tour de rôle sur une scène aménagée au milieu des tombes, devant le mausolée Sidi Mhand Ouamrane. Assises à même la terre, allongées ou enveloppées dans un duvet, une centaine de personnes défient la fatigue pour aller au bout de la « Nuit du conte », le point d’orgue du festival itinérant Raconte-Arts, organisé cette année à Aït Ouabane, un village niché au cœur du massif du Djurdjura, à près de 70 km au sud de Tizi Ouzou.
Créé par un trio d’artistes au lendemain d’une décennie de terrorisme et du Printemps noir en 2001 en Kabylie (126 personnes avaient trouvé la mort), Raconte-Arts était au départ une action locale visant à redonner vie aux villages endeuillés de cette région berbère. « À l’époque, tout était terne pour ne pas dire mort, il n’y avait plus d’activités culturelles. On a voulu apporter de la joie aux villageois, qui sont encore les premiers oubliés d’une politique culturelle », explique Arezki Diche, président de la Ligue des arts cinématographiques et dramatiques de Tizi Ouzou, l’association qui organise Raconte-Arts depuis sa fondation.
Faute d’infrastructures, les festivaliers investissent la rue. « Dans les montagnes, on ne trouve ni théâtre, ni cinéma, ni maison de la culture. Alors, on s’adapte : on s’installe sur les places publiques, dans les mosquées… », poursuit Arezki Diche.
Raconte-Arts, qui boucle ce lundi 31 juillet sa 14ème édition, est devenu depuis un incontournable de la vie culturelle algérienne. Cette année, les organisateurs ont même enregistré un record d’affluence. Plus de 30 000 personnes se sont rendues à Aït Ouabane durant la semaine écoulée pour assister aux différentes animations de rue.
La plupart des spectateurs sont venus en voisins, des villages kabyles environnants. Mais beaucoup sont venus de très loin. « J’ai rencontré un couple qui est venu de Tindouf [une ville saharienne située à plus de 1 600 km, ndlr] en voiture et il y a aussi plusieurs groupes de jeunes Français qui ont fait le voyage jusque chez nous », s’enthousiasme une jeune habitante dans le stand d’accueil installé à l’entrée du village.
Ce festival pluridisciplinaire séduit aussi de plus en plus d’artistes. « Pour la première édition en 2004, une cinquante d’artistes avaient répondu présent. Cette année, on a retenu 350 candidatures mais au final on a accueilli plus de 500 artistes. Il y a donc un programme officiel, conçu par l’association, et des dizaines de spectacles improvisés dans chaque coin du village tout au long de la journée et de la nuit. On peut dire que nous sommes victimes de notre succès », se réjouit Denis Martinez, l’artiste peintre qui a cofondé ce rendez-vous.
Parmi les participants, une centaine d’étrangers originaires de 15 pays différents. « On a pris l’habitude de recevoir des artistes venus de l’étranger, notamment de France, d’Italie et du Congo. L’an passé, on a même eu la visite d’un conteur chinois. Ils s’expriment tous dans leur langue maternelle », souligne Arezki Diche.
Ici, comédiens, musiciens, écrivains se côtoient et se mêlent au public. « À Raconte-Arts, il n’y a pas de star-système. Les artistes professionnels et amateurs sont logés à la même enseigne », insiste le président de la Ligue. Tous dorment chez l’habitant et prennent leurs repas dans la cantine de l’école primaire. Comme pour d’autres festivals de la région, ce sont les villageois qui assurent la partie logistique. « On met la main à la pâte en fonction de ce que chacun sait faire ou peut apporter pour le bon déroulement du festival. On s’implique tous bénévolement pour donner une bonne image de notre village », confie Merzak Djaffar, chef magasinier dans une base vie de chantier à Hassi Messaoud et responsable de la cantine pendant le festival.
Le festival, qui tient à son indépendance, est organisé avec un budget limité de 4 millions de dinars (soit 31 000 euros), dont 200 000 dinars (environ 1 500 euros) de subventions publiques. « Le reste, ce sont des donations privées : quelques entreprises et principalement des personnes généreuses, précise Arezki Diche. Les villageois et les visiteurs se rendent ainsi compte qu’on peut organiser des événements d’envergure internationale avec des moyens rudimentaires. On espère que ça va les décomplexer et les encourager à se prendre en main ».
Le rideau tombe à peine sur cette 14ème édition que les organisateurs pensent déjà à la suite. L’an prochain, Raconte-Arts prendra ses quartiers à Tiferdoud, le plus haut village de Kabylie. Mais il n’est pas exclu que le festival itinérant pose un jour ses valises dans une autre région d’Algérie. « S’il y a une demande officielle et que les conditions requises sont réunies, on sera prêt à bouger en dehors de la Kabylie », conclut Arezki Diche.
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