Au-delà de Macron…
Beaucoup d’africains se sont exprimés et s’expriment encore sur les déclarations du jeune président français Emmanuel Macron.
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Renner Onana
Renner Onana est fonctionnaire international et ancien diplomate camerounais.
Publié le 31 juillet 2017 Lecture : 4 minutes.
Le durcissement du verbe contre ce jeune président se fait à juste titre car ses déclarations mettent en exergue non seulement la continuité de la tyrannie de la chosification qui caractérise souvent les discours de certains sur notre continent mais elles traduisent la peur de cette jeune génération d’Européens en général sur le monde qui vient.
Peu d’Africains savent qu’au XVe siècle, ce qu’il est convenu d’appeler l’Afrique avait un avantage démographique sur toutes les régions du monde. Sa population était estimée comme le dit Felwine Sarr à 100 millions d’individus soit 20% de la population mondiale de cette époque. A la fin du XIXe siècle, elle ne représentait que 9% de ce total. Les traites transatlantiques et arabes étaient passées par là et pendant deux siècles cette croissance démographique a été interrompue, s’est ralentie, a stagné pour beaucoup d’autres raisons.
Aujourd’hui et en un siècle, l’Afrique a retrouvé sa vitalité démographique. Cela maximise évidemment ses capacités de survie pour les prochains siècles. De plus, il y a 100 ans, 95% des Africains vivaient au village comme on dit en Afrique et aujourd’hui 45% du milliard d’Africains sont des citadins. Quand Macron aura 89 ans, notre continent comptera 2.25 milliards d’individus qui composeront la plus grande part de la population active et valide au monde. 60% de ces personnes vivront dans des villes tentaculaires qui seront totalement reconfigurées. Vous vous imaginez quel bouleversement civilisationnel cela induit en termes d’urbanisation, d’hybridité, de projections, de déploiement des vies individuelles ?
La violence symbolique du propos de Macron est significative de l’âpreté de la bataille qui arrive
Tenez, quand Macron aura 52 ans, la seule ville de Lagos aura 25 millions d’habitants, à quelque 11 millions d’habitants de la moitié de toute la population actuelle de sa France natale, Kinshasa en aura 16 millions, soit 5 millions de plus que la population actuelle de Paris, le Caire en sera à 14 millions…. Bref en 2030, dans seulement 13 ans, quatre villes africaines – Lagos, le Caire, Kinshasa et Dakar – surpasseront la population actuelle de la France. Comment voulez-vous que le président français ne se pose pas de questions face à une telle vague ?
Cependant, au-delà de son discours et des réactions parfois épidermiques, certaines étant plus calibrées, cette déclaration structure les prochaines batailles qui seront livrées au continent africain par la partie occidentale du monde en état de crise et de souffrance. La première bataille est celui des représentations, « des images de la pensée ». C’est ce que Foucher appelle « la bataille des cartes » qu’il définit comme l’idéologie qui soutient la redistribution des rapports de force entre les États.
De ce point de vue, la violence symbolique du propos de Macron est significative de l’âpreté de la bataille qui arrive. Africains préparez-vous à affronter ce type de pensée commune destructrice, pour reprendre Paul Krugman, et d’attaques verbales qui avaient déjà commencé avec Sarkozy. Plus vous commencez « votre existence poétique », « votre montée en humanité », plus vous entrez en conversation avec « le tout monde », formule d’Edouard Glissant, plus le verbe immanquablement contre vous se durcira.
Deuxièmement, vous imaginez aussi le chambardement civilisationnel de l’arrivée de plus d’un milliard d’Africains sur cette planète dans 13 à 33 ans. Pensez-vous que les vieux présidents postcoloniaux seront encore là pour voir cela ou négocier des contrats léonins contre la protection de leur pouvoir ? Seront-ils encore là pour protéger les blocs historiques postcoloniaux comme la Francafrique en état de déliquescence avancé ? Que nenni ! Il est évident que le surgissement démographique en cours actuellement entraînera fatalement des changements politiques et économiques, des choix délicats et décisifs d’exploitation des ressources et des richesses naturelles. Les vieux présidents imposés à l’ataraxie tranquille ne pourront pas gérer ce bouleversement et ces changements. C’est d’une évidence !
De ce point de vue, rien ne sera plus comme avant dans ce continent au milliard d’individus et les futurs dirigeants africains seront mécaniquement tournés vers la satisfaction des besoins de la cocotte-minute de ces populations en effervescence au risque d’être balayés par autant de révoltes sociales que possible. De plus, les diasporas africaines au sens large seront de plus en plus actives en influençant non seulement les orientations politiques de leur pays d’accueil mais aussi les évolutions politico-sociales de leurs pays d’origine à l’instar des diasporas cubaine et chinoise aux États Unis.
Reste qu’à l’orée des années 90, les pays occidentaux se sont renfermés dans leurs certitudes. Avec Maastricht et Schengen, ils se sont enfermés dans leurs frontières en refusant l’accès à leurs pays, à leurs universités à des jeunes Africains. Macron a été structuré manifestement par cette période de fermeture. Hélas, il arrive au pouvoir au moment où sa classe d’âge africaine était très peu représentée dans l’hexagone, s’était disséminée partout en Europe et dans le monde, vers d’autres cieux plus ouverts. Lui et ses amis de la REM et d’autres encore auront désormais affaire pour discuter politique ou faire affaires à des jeunes Africains formés en Chine, aux États Unis, en Turquie, en Inde, à Singapour, au Brésil. Cela ne sera pas une mince affaire comme le montre l’exemple rwandais ou Botswanais. Alors Macron et au-delà, du calme… La préparation du match retour a commencé. Les Africains seront à la hauteur probablement avec leurs femmes et enfants.
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