Afrique du Sud : Joburg Art Fair, la création en toute liberté
La foire d’art contemporain de Johannesburg, la Joburg Art Fair, s’est ouverte jeudi pour trois journées d’expositions. L’occasion pour les artistes africains de révéler aux collectionneurs le potentiel de la jeunesse créatrice du continent.
Deux femmes, nues, face à face, maintenant tant bien que mal entre elles un lourd miroir. Un peu plus loin, deux hommes nus, eux aussi, dans la même position instable. Autour d’eux, une population chic et branchée qui ne semble guère s’émouvoir de cette nudité. Et pour cause ! La scène se déroule au Sandton Convention Centre de Johannesburg (Afrique du Sud).
Ce 21 août sest ouvert pour trois jours la Joburg Art Fair, seule manifestation commerciale consacrée à l’art contemporain sur le continent. L’artiste sud-africain Kendell Geers a bien le droit d’exposer des corps nus pour l’une de ses performances s’il en a envie : ici, la censure n’a pas droit de cité. Même le président Jacob Zuma en a fait les frais à plusieurs reprises, notamment lorsque Brett Murray le représenta dans The Spear, les parties génitales exposées au grand air…
Organisé par l’entreprise Artlogic, elle-même dirigée par l’ancien réalisateur Ross Douglass, la Joburg Art Fair rassemble pour quelques jours le meilleur de ce qui se crée sur le continent. Plus d’une trentaine de galeries, des centres d’arts, des commissaires d’exposition, des artistes, tous sont là pour confronter leurs œuvres et les proposer au regard des collectionneurs comme des amateurs. "J’ai fait venir quatre collectionneurs, confie le galeriste Jean-Philippe Aka. Ils ne s’intéressent pas forcément tous à l’art contemporain africain, mais j’ai bon espoir qu’ils le découvrent ici…"
Si la Joburg Art Fair reste un espace commercial, c’est aussi un formidable microcosme où l’Afrique se donne à voir dans sa nudité crue.
L’art abstrait marque le pas
De fait, il y a là bien des découvertes à faire. "Trop souvent les artistes doivent quitter le continent pour trouver un marché, écrit Ross Douglas. Ce qui a été extraordinaire en créant la Joburg Art Fair, c’est que nous avons permis sur place la création d’une économie artistique plus durable. En nous concentrant sur Lagos, cette année, nous espérons étendre notre ambition à l’ensemble du continent."
Si la Joburg Art Fair reste un espace commercial où les œuvres s’échangent et se vendent, c’est aussi un formidable microcosme où l’Afrique se donne à voir dans sa nudité crue. Pas de faux-semblants chez les artistes, pas de demi-mesure, pas de langue de bois. Ce n’est pas un hasard si l’art abstrait, toujours très présent en Occident, marque ici le pas.
Au sein de la galerie Momo de Johannesburg, Frances Weber confirme : "Oui, il y a une forte domination de la figuration… Peut-être parce que les réalités que vivent les artistes appellent des commentaires urgents…" Même s’ils ne sont pas autant dans la revendication ou la complainte politique que les participants à la récente Biennale de Dakar (Sénégal), les créateurs portent en général un discours fort sur le quotidien, la guerre, l’individu. Ainsi en va-t-il de la Zimbabwéenne Portia Zvavahera, qui a reçu le prix de la First National Bank cette année, et qui représente un peu à la manière d’un Jean-Michel Basquiat adouci les moments saillants de sa vie de mère et de femme.
La pugnacité d’une jeunesse créative
Plus saisissante encore, la Sud-Africaine Mary Sibande qui se représente éventrée – de manière vestimentaire néanmoins – et entourée de quatre chiens rouges gueule ouverte dans Cry Havoc… La violence est souvent présente, mais légèrement assourdie… ou bien devrait-on dire atténuée par l’espoir ? Les superbes soldats de Ralph Ziman sont armés de fusils composés… de perles de couleurs ! Quant aux photos de Mohau Modisakeng, elles associent fusil et colombe en une chorégraphie à la fois lyrique et poétique…
Bien sûr, la liste pourrait s’allonger des artistes racontant l’Afrique, leur Afrique, à l’instar des grands maîtres que l’on retrouve ici comme dans les grands musées du monde : le Sud-Africain William Kentridge, omniprésent, le Camerounais Barthélémy Toguo, le Malien Malick Sidibé. La Joburg Art Fair témoigne une fois de plus, si besoin était, de la pugnacité et de la maturité d’une jeunesse créative, inventive, qui mérite bien sûr d’être prise en compte par le marché de l’art mais, surtout, d’être entendue par les aînés et les décideurs.
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Nicolas Michel, envoyé spécial à Johannesburg
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