Quel cap choisira Millicom après le départ de son chef ?

La soudaine démission de Hans-Holger Albrecht sème le doute sur la stratégie du groupe. Faut-il continuer de miser sur internet et les services financiers pour relancer les six filiales africaines de l’opérateur ?

Millicom compte près de 24 millions de clients en Afrique. © Erick Ahounou

Millicom compte près de 24 millions de clients en Afrique. © Erick Ahounou

Julien_Clemencot

Publié le 22 décembre 2014 Lecture : 5 minutes.

Mardi 2 décembre. En poste depuis seulement deux ans, Hans-Holger Albrecht, PDG de l’opérateur luxembourgeois Millicom, annonce sa démission. Dans sa déclaration, l’homme d’affaires indique vouloir rejoindre le monde des médias, où il a effectué l’essentiel de sa carrière. Pour les analystes financiers, la nouvelle constitue une vraie surprise. En interne, le dirigeant allemand a incarné l’avènement d’une nouvelle stratégie, accélérant la convergence des services de télécoms, d’internet et de la télévision.

Selon la presse de Stockholm, Hans-Holger Albrecht quitterait le giron du groupe Investment AB Kinnevik, un holding suédois qui, outre Millicom, contrôle aussi le groupe audiovisuel Modern Times (MTG, présent au Ghana), que l’homme d’affaires a présidé pendant treize ans.

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Millicom Resultats-2014 chans Holger Albrechtsolid #000000;float: left" />Ce départ suscite de nombreuses questions sur l’avenir d’un opérateur de télécoms dont les filiales africaines, au Tchad, en RD Congo, au Ghana, au Rwanda, au Sénégal et en Tanzanie, ont subi de plein fouet la chute des prix des communications (à l’inverse de ses implantations en Amérique latine). Leur rentabilité a en effet beaucoup chuté.

Les six filiales, qui représentent 44 % des abonnés du groupe mais moins de 20 % de son chiffre d’affaires, ont vu leur marge Ebitda, indicateur de référence du secteur, tomber à 21,5 % au troisième trimestre 2014 contre plus de 36 % deux ans auparavant. Les spéculations sont d’autant plus justifiées que Millicom a toujours privilégié une gestion active de son portefeuille, n’hésitant pas à céder ses opérations les moins performantes, comme cela a été le cas en Asie, au Pérou et en Sierra Leone dans les années 2000.Millicom Resultats-2014 cArthur Bastings DR

Depuis mi-2013, la transformation en profondeur de son modèle a pourtant redonné des perspectives à la société, notamment en Afrique. Avec un objectif financier ambitieux : doubler son chiffre d’affaires 2013 en quatre ans, pour atteindre 9 milliards de dollars (7,3 milliards d’euros).

Du point de vue des investisseurs, Millicom, qui est coté à la Bourse de Stockholm, semble d’ailleurs sur la bonne voie. « À l’avenir, le marché devrait moins se focaliser sur l’érosion de la rentabilité, perçue comme une faiblesse structurelle, et davantage sur le développement des nouveaux segments », estimait récemment Benoît Maynard, analyste chez Natixis.

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>>>> Lire aussi – Arthur Bastings : « Millicom est une entreprise de convergence numérique »

Comme une start-up

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Reste à savoir si l’entreprise entend maintenir le cap qu’avait suivi Hans-Holger Albrecht. Sur le continent, c’est à Arthur Bastings, nommé en 2013 vice-président exécutif, que revient la tâche d’opérer la mue. Un autre homme de médias, qui a notamment travaillé pour Time Warner et piloté la société de jeux en ligne Bigpoint. En novembre, il expliquait à Jeune Afrique : « La voix et les SMS restent le coeur de notre activité, mais nous ne voulons pas nous limiter à cela. C’est un moyen de fédérer une communauté de clients pour leur proposer des services adaptés à leurs besoins. »

Millicom Resultats-2014 cTigoPour insuffler cette dynamique, l’opérateur a revu son organisation interne en créant des divisions séparées pour le mobile, internet et les services financiers. « Nous les gérons comme des start-up avec une organisation moins pyramidale, indique Arthur Bastings. Cela change notre regard sur la manière dont on apprécie la qualité des projets. »

En Afrique, c’est dans le domaine des services financiers mobile (MFS) que le groupe Millicom apparaît le plus avancé. Plus de 5 millions de clients y utilisent sa plateforme Tigo Cash.

L’opérateur est d’ailleurs l’un des rares sur le continent à communiquer le revenu moyen par mois (1,30 dollar) généré par chaque utilisateur. Sur les neuf premiers mois de 2014, les MFS lui ont rapporté 52 millions de dollars contre seulement 25 millions en 2012. Il y a quelques jours, en Tanzanie, Millicom a encore innové en distribuant à ses clients des intérêts proportionnels aux montants déposés sur leurs comptes électroniques. Le groupe s’était déjà illustré en 2014 en passant un accord avec deux de ses concurrents dans le pays pour rendre leurs systèmes de banque mobile interopérables.

>>>>> AfricaCom : les innovations télécoms qui ont marqué l’année 2014

Éduquer le public

Le web constitue l’autre axe de développement prioritaire dans la stratégie présentée par Millicom. L’année 2013 avait été marquée par l’acquisition d’un tiers du capital du spécialiste de l’e-commerce, Africa Internet Holding (AIH), codétenu à parts égales avec l’allemand Rocket Internet (dont Investment AB Kinnevik possède 14,2 %) et l’opérateur sud-africain MTN. Puis, en 2014, ce sont ses partenariats avec Facebook et la plateforme de musique en ligne Deezer qui ont fait le buzz.

Toujours dans le rouge, Jumia voit la vie en rose

Lancé en 2012, le site marchand Jumia est la plus belle réussite d’Africa Internet Holding, dont Millicom est l’un des principaux actionnaires.

Au premier semestre, le total des ventes (26,6 millions d’euros) de la plateforme est en hausse (+ 99 %), tout comme le nombre de ses clients (360 000 personnes, + 192,7 %).

Néanmoins, la société affiche un Ebitda, indicateur proche de l’excédent brut d’exploitation, encore largement négatif (- 26,3 millions d’euros).

Pour poursuivre son développement, Jumia, présent dans neuf pays dont le Ghana et le Cameroun, a annoncé fin novembre avoir levé 120 millions d’euros auprès de ses actionnaires.

>>>> Lire aussi : Jumia lève 120 millions d’euros

Engagé au sein de l’initiative Internet.org, Millicom propose en Tanzanie un accès gratuit à Facebook, Wikipédia, ainsi qu’à des services pour l’éducation et la santé plus locaux.

Un projet vivement critiqué, entre autres par MTN. Mais Arthur Bastings a su le défendre : « Je ne pense pas que cela détruise de la valeur. Les clients qui en bénéficient appellent plus, envoient plus de SMS, utilisent plus de data. C’est une manière d’éduquer le public aux possibilités offertes par le Net. »

Et si, aujourd’hui, seuls 18 % des clients africains de Tigo utilisent leur mobile pour surfer sur le web, l’objectif est de porter ce chiffre à 33 % d’ici à trois ans.

Très récemment, Millicom réaffirmait par ailleurs sa volonté de gagner de l’argent sur le Net en lançant au Ghana des abonnements à Deezer entre 1,24 et 15 euros. Baptisé Tigo Music, ce service compte déjà 600 000 abonnés en Amérique latine. Et les offres doivent être étendues à la RD Congo, à la Tanzanie, au Rwanda et au Tchad en 2015.

Attentif à la demande en contenus locaux, Millicom a en parallèle créé une coentreprise avec la plateforme Africori, propriétaire d’un important catalogue d’artistes africains. Si elle est porteuse d’espoirs légitimes, l’activité online reste néanmoins dans le rouge, avec une perte de 17 millions de dollars à l’échelle du groupe en 2014.

>>>>> Millicom va lancer Tigo Music dans cinq pays africains

Lors d’une récente rencontre avec les investisseurs, Arthur Bastings se voulait rassurant sur la capacité de Millicom à accélérer sa croissance grâce à une stratégie de convergence. L’objectif était alors d’améliorer la contribution des filiales africaines aux résultats du groupe dès 2016.

Toutefois, selon un analyste bien informé, « la réussite de Millicom va se jouer au moins autant sur sa capacité à faire des économies que sur son habileté à se réinventer ». Une gageure pour un groupe qui doit encore améliorer ses réseaux et réinvestit en moyenne 37 % de ses revenus, contre 15 % à 20 % chez ses concurrents. Hans-Holger Albrecht aurait-il trouvé la mission impossible ?

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