Rwanda : Kagame et le pacte de Musanze
« Abanya musanze dusanzwe dufitanye igihango » : « Sachez qu’avec les habitants de Musanze, un pacte sacré nous unit ».
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Lonzen Rugira
Lonzen Rugira est un éditorialiste rwandais.
Publié le 2 août 2017 Lecture : 5 minutes.
C’est en ces termes que le président Paul Kagame, candidat du Front Patriotique Rwandais (FPR) à l’élection présidentielle, a ouvert son allocution de campagne dans le district de Musanze [Ruhengeri, ville du nord du Rwanda d’où étaient originaires de nombreux « durs » du régime de l’ancien président Juvénal Habyarimana et où eurent lieu en 1990 des prémices du génocide des Tutsis, NDLR].
« Uri Inshuti yacu, uri inshuti yacu » : « Tu es notre ami, tu es notre ami », ont scandé à l’unisson une foule d’un demi-million de Rwandais (un record de participation), comme pour réaffirmer le pacte qui semble les lier profondément au FPR, ou plutôt à son candidat. Entre les deux, la relation est complexe, mais pas du tout compliquée.
Comme pour toutes les relations sérieuses, celle-ci a eu son lot de hauts et de bas. Pour commencer, ils se sont rencontrés dans des circonstances pour le moins tumultueuses. Il (Kagame) a fait irruption dans sa vie à elle (Musanze) pour éteindre l’incendie qu’elle avait de toute évidence provoqué. Elle était certaine qu’il se vengerait. Mais c’est une main tendue qui lui a été offerte. Il a trouvé les mots qu’il fallait pour la rassurer et garantir que nul ne serait menacé, pas même ceux qui avaient fui la scène du crime vers le voisin. Tous ont été encouragés à rentrer à la maison.
Il lui fit la cour assidûment. Elle résista. Les membres de sa famille prétendaient qu’elle était en danger auprès de lui, qu’ils allaient bientôt devoir voler à son secours. Parfois, la nuit tombée ils le provoquaient. Ils espéraient démontrer une bonne fois pour toutes que cet homme était dangereux. Jamais ils n’ont essayé d’avoir une relation amicale ou fraternelle avec lui. Ils s’étaient jurés de ne jamais lui céder la main de leur fille.
Compte tenu des circonstances difficiles de leur rencontre, il reconnaissait volontiers que « la conquérir fut un dur labeur »
Quand bien même d’infâmes calomnies revenaient sans cesse à ses oreilles, il persista à lui faire la cour. À ses proches qui le décourageaient, allant même jusqu’à lui présenter d’autres candidates potentielles (tel un baroud d’honneur de prétendant rabroué), il répondait impassible qu’elle était vraiment très spéciale.
Sa persévérance, en paroles comme en actes, l’a séduite. Après cinq années d’une cour assidue, elle finit par céder, envoyant paître ses proches. Il fit sa demande dans les règles de l’art. Et elle dit « oui ». Pour préserver la paix de leur ménage, ils se firent la promesse de traiter avec égard leurs familles respectives.
Compte tenu des circonstances difficiles de leur rencontre, il reconnaissait volontiers que « la conquérir fut un dur labeur ».
Néanmoins comme pour toute relation amoureuse, le plus dur reste à faire après la conquête de l’élue. Il faut préserver une relation de confiance et de loyauté mutuelles. En d’autres termes, il faut préserver le pacte.
Chose promise, chose due
C’est une relation qui était vraiment partie de rien. Musanze était jadis une ville fantôme, sans aucun signe visible de développement. Elle n’était que bidonvilles, cahutes et routes boueuses.
Aujourd’hui Musanze est la deuxième plus grande ville du pays. Grâce à l’agriculture et au tourisme, c’est une ville qui a pris son envol économique. Ses routes sont larges et propres. Une imposante infrastructure – incluant un marché couvert – vient de voir le jour. Une participante au rallye de campagne de la semaine dernière me rapportait que les habitants l’ont surnommée « Musanze Convention Center » en référence au luxueux Kigali Convention Center estimé à 400 millions de dollars. Cette participante a rajouté que lorsque le président voyage à l’étranger (en Europe et aux États-Unis) en quête de nouveaux investisseurs, c’est aux femmes et hommes d’affaires de Musanze qu’il pense en premier pour l’accompagner. Certains parmi eux n’avaient jamais quitté le pays avant 1994.
Cette région est également une sorte de hub intellectuel. Avec notamment, une université spécialisée en agriculture à Bisogo (la ville qui recevait le rallye de campagne). Plus important encore, la région héberge deux fleurons africains en matière de paix et de sécurité : le National Peace Academy des Forces armées rwandaises et le National Police College de la Police nationale rwandaise.
Pensez-y donc. Le Front Patriotique Rwandaise a installé deux académies en matière de paix et de sécurité dans la région où il a rencontré la plus féroce résistance durant le génocide. « On vient de très loin pour apprendre la paix avec nous », témoignait un paysan du coin.
Renouveler le pacte
Cette foule record était donc venue renouveler son pacte. Ils sont venus, disaient-ils, renouveler leurs vœux de noces, les promesses d’antan tenues. Éclatante démonstration s’il en est, de ce que peut devenir une relation sérieuse fondée sur le respect et le réconfort mutuels. Voilà une leçon de choses qui restera gravée dans la mémoire de tous les prétendants potentiels.
Si le Rwanda est un corps, Kigali est son intelligence, et son âme et son cœur sont Musanze
De cette relation sérieuse, la culture rwandaise espère un descendant. La messe est dite, ce rallye n’est qu’une belle fête a dit le candidat Kagame. Même s’il joue le jeu, il ne fait pas campagne pour lui-même. Kagame doit faire campagne pour le FPR. Ce faisant, il rassure les membres quant à la pérennité des idéaux et des projets du parti.
Avec Musanze, c’est clair : son destin est lié à celui du président Kagame. Le plus compliqué sera, au-delà de sa personne, de transmettre ce pacte. Cela explique pourquoi, durant ces rallyes de campagne, le candidat Kagame s’exprime rarement à la première personne. Aux foules immenses venues l’écouter, il martèle le sens de la relation unique que le FPR entretient avec le peuple ; il ne cesse de rappeler que ce pacte ne lie pas seulement sa propre personne au peuple rwandais mais qu’il lie le peuple rwandais au parti dont il n’est que le candidat.
Né d’une lutte, ce pacte est sacré. Et cela, Musanze le comprend mieux que toute autre région du pays. Si le Rwanda est un corps, Kigali est son intelligence, et son âme et son cœur sont Musanze. Un corps sans âme n’est qu’une coquille vide.
Il n’est alors guère étonnant de constater que toutes les tentatives de déstabilisation du pays ont commencé par Musanze. En d’autres mots, les forces négatives ont parfaitement compris le potentiel effet domino que Musanze pourrait entraîner.
Et à maintes reprises, elles ont échoué. Pour une simple raison : elles sont sous-estimé la puissance du pacte. Dans la culture rwandaise, il n’y a pas pire affront, il n’y a pas pire déshonneur que de transgresser un pacte sacré. Cela échappe souvent à l’observateur extérieur, ignorant qu’il est des us et coutumes rwandaises.
Quand on connaît la culture rwandaise, on comprend intimement que ce qui s’est passé à Musanze la semaine dernière est profondément ancré dans la tradition.
Lorsqu’à l’unisson, les habitants de la région chantent « nda ndambara yandera ubwoba » (« aucune bataille ne m’effraie ») et qu’il répond « turi kumwe nanjye nta yantera ubobwa » (« avec vous à mes côté, aucune bataille ne m’effraie »), les deux parties renouvellent leur pacte sacré dans un langage codé.
« Ntawe uzatatira igihango » : « Personne ne rompra le pacte sacré »… Telle est la clé de décryptage.
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