Macron et le fardeau du président blanc

«Ô Blanc, reprends ton lourd fardeau […] pour, lourdement équipé, veiller sur les races sauvages et agitées, sur vos peuples récemment conquis, mi-diables, mi-enfants. »

Le président Emmanuel Macron à son arrivée à la conférence de presse avec son homologue sénégalais Macky Sall, au palais de l’Élysée, à Paris, le 12 juin 2017. © Francois Mori/AP/SIPA

Le président Emmanuel Macron à son arrivée à la conférence de presse avec son homologue sénégalais Macky Sall, au palais de l’Élysée, à Paris, le 12 juin 2017. © Francois Mori/AP/SIPA

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 7 août 2017 Lecture : 3 minutes.

Ainsi écrivait Rudyard Kipling, ainsi ne parle pas Emmanuel Macron, même si, allez savoir pourquoi, les strophes de cette ode à la colonisation me reviennent à l’esprit. Soixante-dix ans après la mort de l’auteur du Fardeau de l’homme blanc, son esprit s’était une première fois réincarné sous la plume d’Henri Guaino et par la voix de Nicolas Sarkozy.

Cela donna le calamiteux « discours de Dakar », prononcé par le président français quelques semaines après son accession au pouvoir, ses billevesées fiévreuses sur l’Afrique réduite à l’état de mythe et ses digressions douteuses sur l’antinomie entre « l’homme africain », « l’idée de progrès » et la « civilisation mondiale ». Et voici, dix ans plus tard mois pour mois, que les moustaches de Kipling frémissent à nouveau. « Le défi de l’Afrique, il est civilisationnel aujourd’hui », a expliqué Emmanuel Macron le 8 juillet, en marge du sommet du G20, avant de sérier les problèmes : États faillis, transitions démocratiques complexes et une démographie galopante réduisant à néant toute velléité de stimuler la croissance via un quelconque plan Marshall.

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Certes, rien de cela n’est fondamentalement faux, pas même le dernier point, qui a tant fait couler d’encre. Réunis quelques jours plus tard, les parlementaires des 15 pays membres de la Cedeao ont d’ailleurs estimé à l’unisson qu’il y avait « urgence » à contenir « une situation démographique non maîtrisée » dans la région. Certes, le langage macronien n’est en l’espèce que l’expression « on » de ce qui se dit communément en « off » dans les réunions des agences de développement, de la Banque mondiale, du FMI et des ONG.

Emmanuel Macron devrait se méfier de ce racialisme technocratique, paternaliste et insidieux déguisé en politique de développement

Mais en quoi un taux de natalité de « sept à huit enfants par femme » (remarque qui ne vaut que pour le seul Niger), un processus démocratique compliqué (l’Europe a connu bien pire en la matière) et l’existence d’une petite poignée d’États en proie à l’insécurité relèvent-ils du « défi civilisationnel » ? À moins de considérer que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » (Sarkozy) et qu’il convient de « rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation » (Victor Hugo), ces pierres d’achoppement sur la voie du progrès économique et social d’une partie du continent n’ont évidemment rien à voir avec ses fondements culturels.

Emmanuel Macron, qui connaît peu l’Afrique et ne s’y intéresse guère, a décidé de l’appréhender sous un angle défensif, avant tout sécuritaire et migratoire. C’est un choix, dicté par des impératifs de politique intérieure française, lequel se respecte – quitte à ce qu’il accélère au passage le processus de régression de l’influence de la France sur le continent au moment où la Chine, qui perçoit l’Afrique comme une opportunité plutôt que comme une menace, récolte les fruits de son option résolument optimiste en matière d’image et de cote de popularité (cf. le tout dernier sondage du Pew Research Center). Raison de plus pour que le président français se méfie de sa spontanéité.

D’abord parce que, sur une armure aussi lisse, la moindre tache se voit, ainsi que l’a démontré l’effet de sa petite blague sinistre sur les kwassa-kwassa comoriens. Ensuite parce que le fait d’être jeune et de n’avoir en rien été mêlé aux turpitudes postcoloniales ne délivre aucunement un passeport vierge pour « tout dire » aux Africains, avec une décomplexion proche de l’arrogance, en oubliant que le fardeau qu’il porte est aussi celui de la mémoire longue, de l’esclavage à la Françafrique. Oui, Emmanuel Macron devrait se méfier de ce racialisme technocratique, paternaliste et insidieux déguisé en politique de développement, beaucoup plus complexe à affronter finalement, en soi et chez les autres, que le racisme à visage découvert qu’il a défait dans les urnes au soir du 7 mai 2017. Sur la table de chevet de son époux, aux côtés des ouvrages des philosophes Paul Ricœur et Simone Weil, qu’il aime à citer, Brigitte Macron serait bien inspirée de déposer ceux de Frantz Fanon, d’Albert Memmi, d’Aimé Césaire et d’Édouard Glissant…

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