RD Congo : reportage sur le site agro-industriel de Bukanga Lonzo
Les politiques de soutien aux petits agriculteurs ayant montré leurs limites, l’État investit dans l’intensif. Visite du site de Bukanga Lonzo, exploité par le consortium sud-africain Africom.
Avec sa casquette, son short et ses chaussettes remontées au-dessus des bottes, Joan Jonker a des allures de pionnier. Bougon de prime abord, ce Boer (fermier sud-africain blanc néerlandophone) a la poignée de main franche et voue une véritable passion à son travail. Il n’avait pourtant jamais imaginé que celui-ci le conduirait jusqu’en RD Congo…
La première fois qu’il y a mis les pieds, c’était il y a seulement quelques mois, pour repérer le site de Bukanga Lonzo, dans le Bandundu (Ouest, province voisine de Kinshasa). À l’époque, il fallait faire preuve de hardiesse : il n’y avait rien du gigantesque projet qu’il supervise aujourd’hui en tant que directeur des opérations. Pas même la piste de terre d’une trentaine de kilomètres qui permet désormais de relier le parc industriel à la route goudronnée – sur laquelle il faut encore parcourir 220 km vers l’ouest pour se rendre à Kinshasa. Ce sont ses hommes qui l’ont construite.
Même pour ces fermiers qualifiés venus d’Afrique du Sud, la technologie déployée à Bukanga Lonzo est à la pointe de ce qui se fait aujourd’hui.
Et à voir les 4×4 déraper lorsqu’elle est sèche, on se demande bien par quel miracle elle sera praticable après de gros orages. Un mois après l’inauguration du parc agro-industriel par le président congolais, de petits plants de maïs pointent déjà, parfaitement alignés. Et pour cause : ici, la production est presque entièrement mécanisée. Les semeuses, d’énormes engins qui peuvent charger jusqu’à 6 tonnes d’engrais, sont guidées par satellites et reliées, via les réseaux téléphoniques, à un serveur informatique.
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Moissonneuses
Depuis son préfabriqué, Joan Jonker peut superviser l’ensemble de sa ferme. « Hier, en utilisant ce système, j’ai pu corriger la vitesse de certaines semeuses qui n’allaient pas à la bonne allure. C’est très important parce que, sinon, les plants ne seront pas à une distance optimale les uns des autres. » Grâce à leur éclairage et au GPS, ces machines peuvent continuer de fonctionner après la tombée de la nuit, particulièrement noire dans cette région éloignée de tout centre urbain.
Même pour ces fermiers qualifiés venus d’Afrique du Sud (douze expatriés au total), où l’agriculture est l’une des plus mécanisée de la planète, la technologie déployée à Bukanga Lonzo est à la pointe de ce qui se fait aujourd’hui. Il a d’ailleurs fallu tout importer.
Les machines, bien sûr : des tracteurs, des moissonneuses et même un avion (également guidé par GPS), qui survole les champs à basse altitude en épandant des insecticides avant de se poser sur une piste d’atterrissage de 2,5 km construite pour les besoins de la ferme. Mais aussi des engrais et semences, stockés sous un hangar géant. « Je pense que nous n’aurions pu trouver assez de semences dans tout le Congo », s’amuse Jonker. Au total, l’État a investi 83 millions de dollars (près de 67 millions d’euros) en fonds propres dans ce parc agro-industriel pilote, dont il a confié l’exploitation au consortium sud-africain Africom.
Vallonnés
Pour Joan Jonker, qui sillonne la ferme à bord de son pick-up et communique en afrikaan à la radio, ce type de grand projet agricole n’est pas une nouveauté. Originaire des plateaux du Gauteng (la région de Pretoria et de Johannesburg), il a aussi travaillé en Namibie. Il n’avait cependant jamais participé à un programme d’une telle ampleur.
Du nord au sud, l’exploitation s’étend sur 58 km, légèrement vallonnés, et couvre une superficie de 75 000 ha. Pour la première année, seuls 10 000 ha ont été plantés. Mais après les premières récoltes de maïs, de soja, de canne à sucre et de légumes (attendues en février-mars 2015), le parc agro-industriel devrait se tourner vers d’autres productions, comme l’élevage de volailles et de porcs. Un abattoir et une usine de conditionnement sont même prévus.
Pour irriguer l’exploitation, une retenue d’eau sera construite sur une rivière adjacente. « Elle immobilisera 45 millions de litres. C’est plus que les réserves d’eau potable de la ville de Kinshasa », annonce fièrement l’exploitant. D’ici à cinq ans, ce bassin devrait même permettre de faire de la pisciculture.
Dans un pays doté du deuxième fleuve le plus puissant du monde, il est tout de même paradoxal d’élever des poissons dans un bassin artificiel à l’intérieur des terres. Mais ce paradoxe vaut pour l’agriculture congolaise dans son ensemble… Alors qu’elle possède un potentiel en terres arables considérable (80 millions d’ha) et que le secteur emploie les trois quarts de la population active, la RD Congo est importatrice nette de nourriture (pour 1,5 milliard de dollars en 2014).
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C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Augustin Matata Ponyo, le Premier ministre, a défendu – voire imposé à certains de ses ministres réticents – sa stratégie de parcs agro-industriels. Car Bukanga Lonzo n’est que le premier d’une vingtaine de sites pour lesquels le gouvernement prévoit d’investir 5,7 milliards de dollars sur sept ans. En creux, cette politique souligne aussi l’échec des politiques classiques de soutien aux petits agriculteurs.
Petit déjeuner
Les problèmes de l’agriculture congolaise sont d’ailleurs visibles chaque matin dans le parc de Bukanga Lonzo, situé au coeur d’une région pourtant jugée très fertile par les experts qui ont travaillé sur le projet. À l’aube, des dizaines de jeunes s’y pressent dans l’espoir de se faire embaucher. Mais Joan Jonker s’est vite rendu compte d’une difficulté qu’il n’avait pas prévue : « Au cours de la journée, de très nombreux travailleurs s’évanouissaient.
nord au sud, l'exploitation s'étend sur 58 kilomètres et couvre 75 000 hectares. © Pierre Boisselet pour JA" class="caption" style="margin: 4px; border: 0px solid #000000; float: left;" />On s’est aperçu qu’ils souffraient de malnutrition. On a donc décidé de construire un réfectoire pour leur donner un petit déjeuner, avant de commencer la journée. » Le fermier dit aussi avoir augmenté leur salaire, de 75 à 105 dollars mensuels. « Certes, ces travailleurs n’ont pas l’habitude des grandes fermes, comme les Sud-Africains. Mais on peut les former. Et puis, ils ne se mettent pas en grève pour un oui ou pour un non, comme chez nous ! »
Pour l’instant, les effectifs restent modestes (environ 300 ouvriers), mais ils devraient exploser une fois que la production de légumes – qui ne peut pas être aussi mécanisée que celle des céréales – sera lancée. À terme, l’exploitation devrait devenir la ferme maraîchère la plus vaste du continent et employer, à elle seule, quelque 6 000 personnes.
Toutes ne pourront bien sûr pas être logées sur place. Mais déjà, à côté des préfabriqués où résident les cadres, des bâtiments sont en construction. Dont un centre médical et une église. Et ce n’est qu’un début. « La prochaine fois que vous viendrez, il y aura sans doute une petite ville », sourit Joan Jonker.
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