Le Kenya sous haute tension dans l’attente des résultats définitifs de la présidentielle

Les violences qui ont éclaté mercredi dans plusieurs villes du Kenya ont déjà fait quatre morts. L’attente des résultats définitifs de la présidentielle, d’ores et déjà rejetés par l’opposant Raila Odinga, est à haut risque pour un pays qui a déjà connu de graves troubles postélectoraux par le passé.

Des Kényans près de barricades en flammes dans le bidonville de Mathare, à Nairobi, le 9 août 2017. Ils protestent contre les résultats de l’élection présidentielle au Kenya. © MARCO LONGARI / AFP

Des Kényans près de barricades en flammes dans le bidonville de Mathare, à Nairobi, le 9 août 2017. Ils protestent contre les résultats de l’élection présidentielle au Kenya. © MARCO LONGARI / AFP

Publié le 10 août 2017 Lecture : 5 minutes.

Dans le bidonville de Mathare, à Nairobi, la police a tiré mercredi 9 août à balles réelles, tuant au moins deux personnes. Au lendemain de l’élection, des échauffourées parfois violentes ont éclaté dans des fiefs de l’opposition coutumiers de ce genre d’incidents en période électorale, plongeant dans l’anxiété une nation qui se souvient trop bien des violences ayant suivi la présidentielle de 2007, qui ont fait 1 100 morts et plus de 600 000 déplacés.

Le chef de la police de Nairobi a assuré que les deux personnes tuées avaient tenté d’attaquer des policiers « avec des machettes ». Une source policière requérant l’anonymat a dit qu’ils faisaient partie d’un groupe venu manifester, au sein duquel se seraient trouvés des voleurs profitant du chaos.

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Dans le comté de Tana River (sud-est), des hommes armés de couteaux ont attaqué un bureau de vote où le comptage était encore en cours. Deux d’entre eux ont été tués par la police. « Nous n’avons pas encore établi le mobile », a déclaré Larry Kieng, chef régional de la police, interrogé sur une possible attaque des islamistes somaliens shebab, très actifs dans la zone.

Je ne contrôle pas le peuple

À Kisumu (ouest), un des bastions de l’opposition, des centaines de manifestants ont érigé des barricades et brûlé des pneus mercredi, avant d’être dispersé par des grenades lacrymogènes et des coups de semonce. « Quelque chose se mijote », a estimé l’un d’eux, Steven Okeda, un instituteur de 37 ans. « Uhuru Kenyatta a volé l’élection et nous ne l’accepterons pas ». Comme de nombreux observateurs électoraux internationaux, Raila Odinga a par ailleurs appelé les Kényans au calme. Mais il a aussi ajouté : « Je ne contrôle pas le peuple ».

Les résultats au plus tard 7 jours après l’élection

La commission électorale au Kenya a annoncé jeudi à la presse que les résultats complets de l’élection présidentielle devraient lui parvenir vendredi midi au plus tard, écartant ainsi la proclamation d’un vainqueur d’ici là. « Nous prévoyons que tous les résultats de nos agents pour la présidentielle parviendront au centre national de décompte d’ici demain (vendredi) midi », a déclaré le président de la Commission électorale Wafula Chebukati.

Les résultats de la présidentielle opposant le sortant Uhuru Kenyatta au candidat de l’opposition Raila Odinga sont compilés au niveau des 290 circonscriptions du pays, qui les transmettent au centre national de l’IEBC. Jeudi à 11h temps universel, 117 circonscriptions avaient transmis leurs résultats. « Nous appelons toutes les parties à continuer de faire preuve de retenue en ces moments cruciaux », a affirmé M. Chebukati qui a promis de déclarer le vainqueur de la présidentielle « peu après » la validation par l’IEBC des résultats des 290 circonscriptions

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En attendant, l’IEBC la Commission électorale a publié mercredi en soirée les résultats transmis électroniquement par près de 97% des bureaux de vote, créditant le président sortant Uhuru Kenyatta, 55 ans, de 54,31% des suffrages, contre 44,81% pour Raila Odinga, 72 ans, sur un total de 14,7 millions de votes comptabilisés.

Il s’agit d’une fraude d’une gravité monumentale, il n’y a pas eu d’élection

La publication des premiers résultats provisoires, mardi 8 août au soir, avaient déjà été rejetés par Raila Odinga, le candidat désigné de l’opposition. « Il s’agit d’une fraude d’une gravité monumentale, il n’y a pas eu d’élection », a dénoncé au cours de la même soirée Raila Odinga. Selon un communiqué publié par sa coalition mercredi, des pirates informatiques auraient « manipulé » le système de comptage des voix grâce aux codes d’accès d’un responsable informatique de la Commission électorale assassiné il y a un peu plus d’une semaine.

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Des allégations démenties mercredi soir par l’IEBC. « Notre système de gestion des élections est sécurisé. Il n’y a eu aucune interférence interne ou externe à notre système, à quelque moment que ce soit », a affirmé Ezra Chiloba, le directeur exécutif de la commission.

 Les observateurs internationaux appellent à la patience

Jeudi, les observateurs étrangers déployés au Kenya pour les élections générales ont appelé le pays à la patience alors que l’IEBC, la commission électorale est en train de compiler les résultats définitifs sur fond d’accusations de fraude électorale formulées par l’opposition.

« Il faut donner le temps à l’IEBC de poursuivre sa tâche, ils travaillent 24 heures sur 24 », a déclaré la députée européenne Marietje Schaake, qui dirige la mission d’observation de l’Union européenne. « Nous continuons d’appeler tout le monde à rester calmes, résilients et pacifiques ». « Je suis convaincue que la grande majorité des Kényans sont profondément attachés à la paix », a-t-elle ajouté.

Les observateurs ont salué dans l’ensemble la manière dont s’est déroulé le scrutin de mardi, tout en soulignant que le processus électoral est loin d’être achevé. « Un temps et un espace suffisants doivent être alloués à l’IEBC pour accomplir comme il se doit le processus de comptage des résultats », a souligné de son côté l’ancien président ghanéen John Dramani Mahama, à la tête de la mission d’observation de l’organisation du Commonwealth. John Dramani Mahama a également souligné prendre « au sérieux » les allégations de piratage informatique formulées par M. Odinga, mais il a estimé que tout désaccord devrait être « résolu par l’intermédiaire des voies légales prescrites ».

L’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, à la tête de la mission de l’UA, s’est dit surpris du nombre important de bulletins de vote invalidés (397.200 selon les résultats provisoires, soit 2,67% du total). Il a estimé d’une part que certains bulletins avaient été trop sévèrement écartés, et d’autre part que les électeurs, dont beaucoup ont voté pour la première fois, devaient être mieux informés sur la manière de remplir un bulletin.

Un vote sans incident

Les opérations de vote se sont pourtant déroulées sans encombre mardi dans la plupart des 41 000 bureaux. Malgré quelques problèmes localisés, le système d’identification biométrique des électeurs a fonctionné, contrairement à quatre ans plus tôt.

En amont du scrutin, accompagné du déploiement sans précédent de plus de 150 000 membres des forces de sécurité, de nombreux observateurs avaient exprimé leur crainte de troubles à l’annonce des résultats. La campagne 2017 a été acrimonieuse, l’opposition accusant le pouvoir de préparer des fraudes. Cela a incité plusieurs personnalités comme Barack Obama et John Kerry, qui dirige la mission d’observation électorale de l’ONG Carter Center, à appeler les Kényans à voter dans le calme et le respect mutuel.

« Il est important que les dirigeants kényans prennent leurs responsabilités dans les prochains jours afin que le peuple puisse avoir confiance dans le travail réalisé sur le processus électoral, travail qui doit être réfléchi, soigneux et respectueux », a lui soutenu l’ancien secrétaire d’Etat américain. Les quelque 19,6 millions d’électeurs kényans devaient aussi élire leurs députés, gouverneurs, sénateurs, élus locaux et représentantes des femmes à l’Assemblée.

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