Ânerie économique : « On ne raisonne pas l’homme qui hurle »

L’autre jour, je regardais un homme s’égosiller devant le Parlement marocain, à Rabat, quand soudain…

Passants devant le Parlement marocain, à Rabat, en  mars 2017. © Mosa’ab Elshamy/AP/SIPA

Passants devant le Parlement marocain, à Rabat, en mars 2017. © Mosa’ab Elshamy/AP/SIPA

Fouad Laroui © DR

Publié le 21 août 2017 Lecture : 2 minutes.

Attendez, on va faire comme les mathématiciens, on va généraliser le théorème. Prenez n’importe quel homme, devant n’importe quel Parlement du vaste monde, vous pouvez être sûr que, quel que soit le bien-fondé de la cause qu’il défend, il finira par proférer une belle ânerie sur le plan économique.

Revenons donc à mon zigoto devant le bel immeuble du Parlement marocain (en face duquel, soit dit en passant, se dresse l’hôtel Balima où Che Guevara passa une nuit aux arrêts, dans les années 60, avant que la police de Hassan II ne l’expulse vers l’Algérie – mais bon, c’est une autre histoire, on la racontera un autre jour).

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Donc mon zigoto. Cela faisait bien une demi-heure qu’il hurlait tout le mal qu’il pensait du gouvernement, de l’État et d’à-peu-près tout le monde, entouré d’une foule acquise à sa cause, quand soudain il brailla ceci (je résume) :

– L’État se vante de ses grands projets économiques, de ses investissements, du port flambant neuf de Tanger, des autoroutes, des chemins de fer qu’il construit… il en tire toute sa légitimité… mais moi, je vais vous dire ce qu’il en est vraiment !

La foule se rapprocha instinctivement de l’imprécateur, nous étions tout ouïe, allait-on enfin nous révéler le grand secret, les fins ultimes, la Preuve ?

– Eh bien, beugla le zigoto, tout cela est financé par l’ENDETTEMENT !!!

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Horreur ! Il avait dit. L’homme épuisé arrêta là ses révélations, un acolyte admiratif lui épongea le front, l’excitation était à son comble, une houle de murmures agitait la foule. Si elle avait compté en son sein le moindre Bonaparte, elle aurait pris d’assaut le Parlement, et l’Afrique du Nord eût eu son premier Napoléon.

Il n’en fut rien car un autre orateur se dressa quelques pas plus loin et se mit à son tour à insulter l’État. La foule, versatile et capricieuse comme elles le sont toutes, ces gourgandines, abandonna Zigoto 1er pour aller entourer Zigoto II, tout nouveau tout beau.

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Je fus tenté d’entreprendre le premier tribun pour lui demander des explications. Qu’avait-il contre l’endettement ? Savait-il que tous les grands projets, sans exception, sont financés par l’appel à l’épargne ? Ignorait-il que l’autofinancement des grands travaux qui courent sur des décennies est idiot puisqu’il revient à faire payer à une génération ce qui profitera aux générations suivantes ? Avait-il étudié les finances de pays comme l’Allemagne ou l’Arabie saoudite qui n’hésitent pas à s’endetter alors qu’ils disposent de confortables réserves de picaillons ? Tout cela fait sens pour un économiste – et lui, quelles étaient ses compétences en ce domaine ? Ne pensait-il pas qu’avant de bloquer l’avenue Mohammed-V pour débloquer sur l’économie, il aurait été bien avisé de prendre humblement quelques cours dans cette matière qui est quand même un peu plus compliquée que l’étude des fesses de Kim Kardashian ?

Mais, me remémorant la sage parole de René Char « On ne raisonne pas l’homme qui hurle », je n’en fis rien et m’en allai discrètement, sans mot dire mais fermement résolu de partager avec vous, chers lecteurs, ce petit incident de la vie comme elle va. Dont acte. Et ouvrons vite nos manuels d’économie…

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