Élections : quand les chefs ne méritent pas leur peuple

La moitié pleine de la bouteille n’est pas, on le sait, celle qui intéresse le plus les commentateurs de l’actualité politique africaine. D’abord parce qu’ici comme ailleurs les trains qui arrivent à l’heure n’ont jamais fait grimper l’Audimat ni vendre du papier, ensuite parce que relever – pire, mettre en valeur – le côté positif d’une situation expose celui qui s’y livre au soupçon de naïveté, voire de complaisance, comme si l’afrobashing était le critère suprême en matière d’objectivité.

Dans un bureau de vote à Nairobi au Kenya, le 7 août 2017. © Jerome Delay/AP/SIPA

Dans un bureau de vote à Nairobi au Kenya, le 7 août 2017. © Jerome Delay/AP/SIPA

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 14 août 2017 Lecture : 3 minutes.

Des exercices démocratiques, ou présumés tels, qui viennent en ce mois d’août de se dérouler au Sénégal, au Rwanda, au Kenya et en Afrique du Sud, la plupart des médias n’ont donc retenu que l’aspect dysfonctionnel : fraudes à Dakar, unanimisme suspect à Kigali, violences ethniques à Nairobi, humiliation publique du chef à Pretoria.

Certes, le temps n’est plus où les éditorialistes occidentaux assimilaient ces scrutins à des bouffonneries de rois nègres, mais la représentation ordinaire des élections africaines (qu’il s’agisse du vote des simples citoyens ou, comme en Afrique du Sud, de celui des députés) continue de charrier son lot de préjugés : ce ne seraient décidément pas des élections « comme les autres », encore moins « comme les nôtres ». Erreur !

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Maturité politique

Prenons le cas de Jacob Zuma. Considérer comme un signe d’immaturité le fait que l’ANC ait décidé à une courte majorité de le maintenir à la présidence en mettant en échec une neuvième tentative de destitution est une bêtise. Il s’agit là au contraire d’une preuve de… maturité politique. L’ANC étant encore et de loin, qu’on le veuille ou non, le parti le plus légitime en Afrique du Sud, ce sursis lui permet d’éviter l’éclatement avant son prochain congrès, en décembre. Une fois choisi le candidat du Congrès pour la présidentielle de 2019, Zuma ne sera plus en attendant qu’un chef d’État symbolique, dépouillé de la réalité du pouvoir et de l’essentiel de sa capacité de nuisance.

Autre cas : les élections sénégalaise et kényane. Y a-t‑il eu fraude ? C’est possible. Au point d’inverser les résultats ? Sans doute pas. Et quand bien même, puisque au risque de choquer il est possible de considérer la fraude comme un… progrès ! En Afrique, jusqu’au début des années 1990 et à de rares exceptions près, les scrutins se déroulaient sur une base non concurrentielle. Il n’était donc nul besoin de frauder, pas plus qu’une course à un seul cheval ne permet de tricher.

Soyons réalistes : si les vainqueurs ont parfois recours à la corruption électorale sous toutes ses formes (argent, trucages divers, charcutage des circonscriptions, etc.), les vaincus aussi, dès que l’occasion se présente ou qu’ils sont en position de le faire. Ce n’est donc pas la présence de fraudes qui délimite le seuil de l’acceptable entre une élection « normale » et un simulacre de scrutin, mais le degré d’égalité des concurrents devant la fraude. À Dakar comme à Nairobi ou ailleurs, la contestation du résultat par les perdants dépend largement de ce constat d’inégalité, tout autant qu’elle correspond à l’absence de stratégie de remplacement.

Votes communautaire et d’opinion sont compatibles

Au risque – encore – de l’inconvenance, ajoutons que le vote communautaire (ou ethnique), considéré comme la clé du scrutin kényan, n’a rien d’irrationnel ni d’antinomique avec le vote d’opinion. À condition que le marché politique soit libre, ce qui est le cas au Kenya comme au Sénégal, et que le secret du choix soit garanti, voter pour le candidat du groupe auquel on appartient n’est en Afrique ni grégaire ni contraire au fonctionnement de la démocratie. Idem pour la violence : le fait que la participation collective à l’acte électoral tourne parfois (hélas) à la confrontation physique est certes condamnable.

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Mais est-ce pour autant une régression ? Seuls les scrutins sans enjeu ne suscitent aucune violence – dont l’éradication relève d’un long processus éducatif. En réalité, le véritable ennemi de la démocratie électorale, c’est l’abstention, la sortie du jeu, ce que les anglophones appellent l’exit option. Sur ce plan, à constater les longues et patientes files d’attente devant les bureaux de vote (56 % de taux de participation au Sénégal, soit 20 points de plus qu’il y a cinq ans, 80 % environ au Kenya, 90 % au Rwanda, même si ce dernier chiffre, politiquement incorrect, n’est explicable que dans le contexte historique très particulier de ce dernier pays), l’optimisme est de mise.

Les Africains traitent l’exercice électoral avec un respect, une révérence et un sérieux depuis longtemps oubliés en Occident, au point que l’on est fondé à se demander s’ils ne sont pas plus prêts pour la démocratie que leurs propres dirigeants. Un peuple a le chef qu’il mérite, dit l’adage. En Afrique, bien souvent, les chefs ne méritent pas leur peuple.

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