Kenya : le vétéran Odinga, encore battu, face au choix d’une vie
Raila Odinga, l’éternel opposant, a raté un nouveau rendez-vous avec l’histoire, en s’inclinant face à Uhuru Kenyatta lors de sa quatrième candidature à la présidence kényane. Et son héritage dépendra de l’attitude qu’il va désormais adopter.
Pour ce vétéran de la politique kényane, âgé de 72 ans, l’échec est cinglant. Alors que les sondages laissaient présager une issue serrée, sa défaite est sans appel. Il n’obtient que 44,74 % des voix, contre 54,27 % au président sortant.
Déjà battu en 2013 par Uhuru Kenyatta – après deux échecs en 1997 et 2007 – Odinga fait maintenant face à l’une des décisions les plus lourdes de conséquences de sa vie.
Avant même la proclamation officielle vendredi de la victoire de Uhuru Kenyatta, la coalition d’opposition qu’il dirigeait a dénoncé une « mascarade » et en a appelé au « peuple ».
« Nous ne voulons pas de violences au Kenya »
Et sitôt l’officialisation des résultats, des émeutes ont éclaté dans plusieurs fiefs de l’opposition, dans les bidonvilles de Nairobi et l’ouest du pays.
Reste donc à savoir jusqu’où le charismatique Odinga, qui jouit d’une influence énorme au sein de son ethnie Luo, dont il a su mieux que personne porter les griefs, sera prêt à pousser ses revendications.
« Nous ne voulons pas de violences au Kenya. Nous connaissons les conséquences de ce qui s’est passé en 2008 et nous ne voulons pas voir cela se répéter », avait-il déclaré jeudi soir.
« Les gens veulent la justice »
Mais, comme pour laisser la porte ouverte à toute éventualité, il s’était aussi empressé de souligner : « Je n’ai de contrôle sur personne. Les gens veulent la justice ». Il ne s’est pas exprimé vendredi.
Raila Odinga a déjà contesté des résultats électoraux. En décembre 2007, il avait estimé que la victoire lui avait été volée par Mwai Kibaki, issu de l’élite économique kikuyu, lors d’un scrutin entaché de nombreuses fraudes selon les observateurs.
Le Kenya avait alors plongé dans deux mois de violences politico-ethniques, les pires depuis son indépendance du Royaume-Uni en 1963, qui avaient fait plus de 1 100 morts et 600 000 déplacés.
Le précédent de 2013
En 2013, il avait contesté la réélection dès le premier tour de Uhuru Kenyatta, mais s’était gardé cette fois-ci d’en appeler à la rue. Il s’était tourné vers la justice, qui lui avait donné tort.
Cette année, le roué Odinga avait préparé le terrain à un possible revers. Tout au long de la campagne, il avait mis en garde contre le risque de trucage des élections.
En 2008, sur intervention de la communauté internationale, il avait été nommé Premier ministre d’un gouvernement d’union nationale, jusqu’en 2013.
Le poids de l’histoire sur ses épaules
Pour ce qui est très certainement sa dernière bataille, Raila Odinga sent peser sur lui le poids de l’histoire. Sa détermination à devenir chef de l’État était exacerbée par la relation singulière qui lie sa famille à celle de Uhuru Kenyatta.
Son père, Jaramogi Oginga Odinga, occupa brièvement le poste de vice-président. Mais il fut surtout le grand perdant de la lutte post-indépendance pour le pouvoir, au profit du premier chef d’État Jomo Kenyatta, le père d’Uhuru.
Les Odinga pourraient à jamais rester les perdants de ce que Murithi Mutiga, du centre d’analyse International Crisis Group (ICG), qualifie de« folle compétition dynastique qui rend tout le monde irrationnel ».
Une énigme pour ses concitoyens
L’homme au physique bonhomme et à la diction chuintante, que les Kényans appellent communément « Raila », s’est depuis longtemps fait un prénom. Mais il demeure une énigme pour beaucoup de ses concitoyens.
Certains voient en lui le réformateur social dont le pays a besoin, d’autres un populiste prompt à instrumentaliser les jalousies entre communautés.
C’est sans doute sa propre communauté Luo, dans l’ouest du Kenya, qui a le mieux décrit Odinga en le surnommant « Agwambo », « le mystérieux », un qualificatif collant parfaitement à cet homme au parcours semé de contradictions.
Quand Odinga lit un discours préparé à l’avance, il butte sur les mots, se trompe dans les chiffres. Mettez-le sur un podium sans notes à la main, et il multiplie les bons mots en kiswahili, séduit la foule et aligne des arguments qui font mouche.
Des études dans l’Allemagne communiste
Ses détracteurs l’ont souvent épinglé comme « socialiste », lui qui a fait ses études d’ingénieur à Leipzig, dans l’Allemagne de l’Est communiste, et qui a prénommé Fidel son fils aîné – décédé en 2015 – en hommage au révolutionnaire cubain Fidel Castro.
Lui-même se décrit comme un social-démocrate soucieux de rééquilibrer la répartition des richesses dans un pays profondément inégalitaire.
Dans les faits, il est à la tête d’un solide patrimoine, dans le secteur de l’éthanol et du pétrole. Son passage au poste de Premier ministre a par ailleurs confirmé qu’il n’avait aucune aversion pour l’économie de marché.
Dès le début de son engagement en politique au début des années 80, Odinga fait preuve d’une ténacité qui ne l’a jamais quitté : il a payé son opposition au régime de parti unique en vigueur au Kenya jusqu’en 1992 par près de huit ans de détention sans procès, dans les années 80 et jusqu’en 1991.
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