Congo : à Brazza, les artistes photographes la jouent collectif

Il y a dix ans, une poignée d’artistes amateurs congolais créait Génération Elili (« image », en lingala). Le groupe compte aujourd’hui 17 membres, tous photographes professionnels et reconnus.

La galerie d’exposition à Bacongo, rue des Trois-Francs. © Baudouin Mouanda

La galerie d’exposition à Bacongo, rue des Trois-Francs. © Baudouin Mouanda

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Publié le 4 septembre 2014 Lecture : 6 minutes.

Congo na Bisso
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Leurs parcours se ressemblent. Ils ont commencé avec un petit appareil photo, acheté ou offert. Puis l’irrésistible envie d’emprisonner l’instant, d’immortaliser le vivant et de figer l’image (elili, en lingala) est venue rapidement. Pour le plaisir avant tout, et aussi pour en tirer un peu d’argent. Jusqu’à ce que la passion se transforme en gagne-pain et que les photographes solos se trouvent et s’unissent pour former le collectif Génération Elili.

Rue des Trois-Francs, à Bacongo, le 2e arrondissement, situé dans la partie méridionale de Brazzaville, un modeste local constitue le siège et la galerie du collectif. À l’intérieur, un équipement sommaire, des photos thématiques sagement alignées sur les murs. Un groupe de jeunes gens s’affaire. "Des cambrioleurs sont venus il n’y a pas longtemps et ont tout emporté", explique Baudouin Mouanda, le coordonnateur du collectif.

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L’aventure a commencé en 2003. Une poignée de jeunes photographes amateurs de Brazzaville et de Pointe-Noire reçoit une formation professionnelle d’un mois. Elle est dispensée par le Français David Damoison, l’Espagnol Hector Mediavilla et la Finlandaise Elina Moriya, dans le cadre du Programme de soutien aux arts plastiques (PSAP) financé par l’Union européenne.

Les cinq bénéficiaires, André Désiré Loutsono (dit Kinzénguélé), Armand Patrick M’biou Ngantselé, François Ndolo (actuellement en France), Dédé Ngona (aujourd’hui disparu) et Baudouin Mouanda, décident de ne pas en rester là et continuent à échanger sur le métier, la place et le rôle de la photographie… C’est l’acte de naissance du collectif Génération Elili. Sa devise : "Connu de toi, inconnu de moi."

"Personne ne nous prenait au sérieux"

"En 2004-2005, personne ne nous prenait au sérieux", se souvient Baudouin Mouanda. Mais aujourd’hui, même s’il n’est toujours pas reconnu ni soutenu par le ministère de la Culture, le collectif a réussi à valoriser la photo professionnelle au Congo et se mobilise pour que l’Afrique centrale rattrape son retard dans ce domaine. "Nous avons vraiment installé la culture de la photographie dans le pays, confirme Kinzénguélé. Nous organisons des expositions très régulièrement, c’est une grande évolution dans la perception de notre métier."

En un mot, le collectif fait vivre son art au quotidien dans le quartier populaire où il s’est établi.

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Avant d’être accepté au sein du collectif, qui compte 17 personnes, chaque photographe doit se soumettre à une période d’observation de six mois, être encadré par un ancien et réaliser trois reportages pour faire ses preuves. Les membres s’engagent aussi à participer aux expositions thématiques, qui changent tous les deux mois. Chacun d’entre eux perçoit un salaire mensuel de Génération Elili, fruit de la vente de photos à des particuliers, à des organisations ou à la presse.

Le collectif s’est par ailleurs assigné d’autres missions, notamment l’initiation d’enfants des rues, l’ouverture de la galerie d’exposition tous les vendredis au moins, la projection de films à l’intention des élèves et des étudiants… En un mot, il fait vivre son art au quotidien dans le quartier populaire où il s’est établi.

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Changement d’optique

À 51 ans, Kinzénguélé est le doyen de Génération Elili. En 1977, adolescent, il a commencé par prendre des photos de la rue brazzavilloise avec son premier appareil. Plus tard, pendant la guerre civile, il travaille sur un thème original, la route du manioc. Mais ce n’est qu’en 2003, avec sa participation au PSAP, que l’ancien étudiant en économie de l’université Marien-Ngouabi change d’optique. Et c’est à 40 ans qu’il plonge dans l’univers de la photo artistique.

Même s’il regrette que ceux qui s’intéressent à ce genre de travail et achètent des clichés soient encore rares au Congo, il reste positif : "Quand nous avons créé le collectif, c’était pour que tout le monde ait le même niveau. La profession est dure, c’est vrai, mais nous devons faire en sorte que chacun en maîtrise tous les mécanismes. C’est pourquoi nous nous livrons à une critique mutuelle de nos oeuvres pour progresser. Ce soutien est essentiel."

Kinzénguélé ne regrette pas ses choix. Son père ne voulait pas qu’il choisisse cette voie. "Aujourd’hui, la photo nourrit pourtant son homme. Grâce à elle, je m’occupe de mes cinq enfants", souligne-t-il avec satisfaction.

Cofondateur du collectif, Baudouin Mouanda, 33 ans et un air d’éternel adolescent, se souvient que, lorsqu’il était lui aussi étudiant à l’université Marien-Ngouabi, sa famille espérait qu’il devienne avocat. Déjà photographe dans l’âme, il exerçait alors en amateur. Quand l’occasion d’apprendre les ficelles du métier s’est présentée, il l’a saisie. En 2003, il participe à la formation du PSAP, et en 2007, grâce à une bourse française, il fait un stage au Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ) et à l’Agence France-Presse (AFP), à Paris. "À mon retour au pays, j’ai transmis aux autres ce que je venais d’apprendre", confie-t-il.


Baudouin Mouanda, l’auteur de ce portrait, a déjà été exposé dans quatorze pays.
© Baudouin Mouanda

Travailler en mode manuel sans flash

Son talent a vite été reconnu par les milieux artistiques, mais aussi par les médias – il travaille d’ailleurs régulièrement pour Jeune Afrique. Baudouin Mouanda a déjà exposé dans quatorze pays à travers le monde. En juillet, l’Institut français du Congo, à Brazzaville, a accueilli sa dernière exposition sur les sapeurs, l’un de ses thèmes de prédilection. S’il s’est plutôt spécialisé dans les portraits et le reportage, Mouanda mène également des expériences sur la manière de traduire des sujets abstraits en photo. Ses prochaines étapes : Harare en août, Paris en septembre, et Londres en octobre. A-t-il réussi ? "Grâce à la photo, j’ai pu me construire une grande villa et je vis correctement", répond-il sans hésiter.


Oeuvres de Baudouin Mouanda et Kinzénguélé, deux des fondateurs du collectifs. © Baudouin Mouanda ; Kinzéguélué
 

Faire autre chose que du travail d’amateur

Diplômée en comptabilité et gestion d’entreprise, Jessica Mampouya, 28 ans, est l’une des deux seules femmes du collectif. D’ailleurs, confie-t-elle, "les gens s’étonnent encore régulièrement qu’une femme soit photographe professionnel". Elle a de qui tenir : son grand frère n’était autre que Dédé Ngona, l’un des fondateurs de Génération Elili. Il lui a montré la voie. Elle s’est lancée dans la photo alors qu’elle était encore lycéenne, pour subvenir à ses besoins, puis elle a travaillé comme photographe pour un ministère.

C’est en 2011 qu’elle a frappé à la porte du collectif. "Ils m’ont expliqué la différence entre une photo banale et une photo d’art. Au début c’était un peu compliqué. Avec mon frère, on travaillait par exemple en mode manuel avec flash. Mais au collectif, on m’a dit qu’il fallait travailler en mode manuel sans flash… Je me suis adaptée. Cela m’a permis d’éliminer bien des défauts." Jessica Mampouya a des envies et des projets plein la tête : se former davantage, exposer à l’étranger, avoir un laboratoire moderne, initier plus de filles à la photographie… et aussi réaliser un travail qui lui tient tout particulièrement à coeur sur l’univers des peuples dits autochtones.

Darnielyse Mboumba, 23 ans, est la benjamine du groupe. Ses thèmes de prédilection sont l’adolescence et le changement climatique. Elle a étudié la comptabilité à l’université. Lorsqu’elle était en deuxième année, elle s’est mise à prendre des photos de ses camarades, à "couvrir" les anniversaires et autres fêtes grâce à l’appareil offert par un ami. Jusqu’à ce qu’un jour, par hasard, elle croise un membre de Génération Elili dans un laboratoire. Un déclic.

"J’ai été facilement acceptée. La formation m’a permis de comprendre que je pouvais faire autre chose que du travail d’amateur. Je n’ai eu aucun complexe, se rappelle-t-elle. C’est mieux de travailler avec des hommes, cela permet de se donner une plus large vision du monde, de s’émanciper…" À tel point que c’est par la photo, "qui permet de transmettre beaucoup d’émotions", que la jeune femme a choisi de raconter la mort de ses parents.


Kinzéguélé a commencé adolescent, en prenant des photos de la rue brazzavilloise. © Kinzéguélé

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