Audiovisuel congolais : des privées très cathodiques

Politique, divertissement, questions de société… Les nouvelles chaînes séduisent leur public en affichant leur spécificité. Cela suffira-t-il face à la concurrence publique et internationale ?

Sur DRTV, la doyenne des chaînes après celle de l’État, Télé Congo. © Baudouin Mouanda pour J.A.

Sur DRTV, la doyenne des chaînes après celle de l’État, Télé Congo. © Baudouin Mouanda pour J.A.

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Publié le 4 septembre 2014 Lecture : 5 minutes.

Une quarantaine de chaînes de télévision privées animent le paysage audiovisuel congolais, libéralisé depuis 2001. Parmi elles, quelques généralistes ambitionnant de couvrir l’ensemble du territoire, et de nombreuses chaînes locales ou associatives.

Mais seule Télé Congo, la télévision publique, est captée dans tout le pays (ou presque). Les autres, pour la plupart installées à Brazzaville, ne disposent pas d’émetteurs assez puissants, certains ne dépassant même pas leur arrondissement. Jusqu’à présent, seule Digital Radio Télévision (DRTV), la doyenne des chaînes privées, est transmise par satellite, via Eutelsat – un privilège jusque-là réservé à Télé Congo.

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Droit d’aînesse oblige, DRTV, créée en 2002 par le général Norbert Dabira, reste la plus regardée par les Brazzavillois après Télé Congo. Sur les plans technique et financier comme en matière de contenu, DRTV a fait ses preuves. Devenue une grande entreprise, elle emploie une centaine de personnes (dont 95 % perçoivent leur salaire sur des comptes bancaires) et cotise à la Sécurité sociale.

"Très peu de gens comprennent le monde télévisuel et beaucoup s’imaginent qu’il est facile à dompter. En réalité, il est complexe à gérer en matière de budget, de contenu, de production interne, de cahier des charges, de partenariat…", souligne Paul Soni-Benga, directeur général de la chaîne depuis 2008.

Sans détours : questions politiques et de société en direct

Aujourd’hui, DRTV produit elle-même 80 % de ses programmes et propose des émissions hebdomadaires phares.

Auparavant, élaborer la grille des programmes s’apparentait plutôt à un exercice de remplissage et de diffusion de films copiés et piratés – jusqu’à ce que les producteurs étrangers s’en rendent compte, et s’en offusquent. Aujourd’hui, DRTV produit elle-même 80 % de ses programmes et propose des émissions hebdomadaires phares, comme Sans détours, talk-show animé par Soni-Benga qui aborde des questions politiques et de société en direct, ou Sape en live, le rendez-vous du mercredi soir consacré aux sapeurs. La chaîne produit aussi du théâtre, des séries et des téléfilms maison.

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Pour les 20 % de contenu restants, DRTV a rejoint une plateforme de télévisions africaines avec lesquelles elle achète des programmes en gros. La chaîne a aussi passé des accords avec Canal France international (CFI) pour l’acquisition d’émissions "clés en main" sur l’Afrique. Elle se fournit également auprès de l’Agence internationale d’images de télévision (AITV). Et le foot étant incontournable, elle passe par l’opérateur chinois Startimes pour obtenir les droits télé sur la Champions League.

Côté technique, DRTV est prête à passer au tout-numérique l’an prochain. Mi-juillet, elle s’est par ailleurs dotée d’un émetteur multidirectionnel qui arrose une bonne partie de Kinshasa, de l’autre côté du fleuve Congo.

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De quoi s’assurer quelques longueurs d’avance sur ses concurrentes, qui progressent elles aussi. Parmi celles qui montent : Média Numérique Télévision (MN TV). Lancée en 2009 par Maurice Nguesso, le frère du chef de l’État, elle est dirigée depuis trois ans par le Camerounais Elie Smith, un ancien de Télésud, et compte 55 salariés. Pour son développement, la chaîne a élaboré un plan de financement évalué à environ 100 millions de F CFA (152 450 euros). D’ores et déjà disponible sur la télévision numérique terrestre (TNT), elle espère être diffusée par satellite à la fin de l’année.

MN TV se positionne comme "la seule chaîne qui donne la parole à tout le monde, majorité comme opposition", rappelle Elie Smith, qui présente La Grande Interview, l’émission vitrine diffusée le vendredi soir. "Les gens commencent à comprendre qu’un média doit être objectif, ajoute-t-il. Notre singularité a été de donner à l’opposition une place dans l’espace audiovisuel." Plus généralement, MN TV apparaît désormais selon son directeur comme un médiateur dans les problèmes de société, "parce qu’elle est crédible et privilégie le respect de la déontologie, notamment en excluant la diffamation".

Indépendance éditorial totale

Paradoxalement, certains caciques du pouvoir l’accusent d’être le porte-voix de l’opposition, tout en lui reprochant d’être intouchable et de se croire tout permis parce que son fondateur appartient à la famille présidentielle… Smith dément : "Notre indépendance éditoriale est totale, Maurice Nguesso n’intervient ni dans le contenu ni dans les méthodes."

À l’instar de MN TV, deux autres chaînes privées sont nées en 2009 : TopTV et ES-TV.

À l’instar de MN TV, deux autres chaînes privées sont nées en 2009. La première, Top TV, a été lancée par Claudia Lemboumba Sassou Nguesso, la fille du chef de l’État, pour soutenir ce dernier durant sa campagne présidentielle. Depuis, la chaîne supervisée par André Ondélé (par ailleurs directeur de la presse présidentielle) se définit comme généraliste. Mais elle n’a pas encore de viabilité économique.

Équateur Service Radio Télévision ­(ES-TV), fondée par l’homme d’affaires Jean-Didier Efongo, commence en revanche à prendre du poids. Opérationnelle depuis 2011, elle est dirigée par Alain Shungu, ancien correspondant de RFI à Brazzaville, et emploie 35 personnes. Elle entend recruter plus de jeunes ayant un intérêt pour le journalisme, diplômés ou non, afin de les former "selon l’esprit de la maison".

Pour se démarquer, ES-TV privilégie la proximité et la vie quotidienne (80 % de ses informations et reportages traitent de faits de société). Elle a aussi proposé des émissions en bambara (rapidement supprimées), tenant compte du fait que 10 % de la population de Brazzaville, d’origine ouest-africaine, parle cette langue.

En deux ans, elle est parvenue à installer des émissions qui ont trouvé leur public. C’est le cas d’Allô Brazza, qui donne la parole aux téléspectateurs, et d’Exclusif (présentée par Alain Shungu), où débattent des personnalités de la majorité, de l’opposition et de la société civile. Environ 60 % des programmes sont produits en interne, le reste alterne entre musique et fiction. ES-TV n’ayant pas les moyens d’acheter des films, elle ne diffuse que des oeuvres libres de droits. Mais elle vient de signer avec la portugaise Télé Porto un accord de coopération de trois ans pour un échange d’images contre des équipements.

Comme ses consoeurs, ES-TV avance sur tous les fronts pour survivre face à la concurrence des chaînes kinoises et de celles, internationales, proposées par Canal+, avec des abonnements accessibles à pratiquement toutes les couches de la population. Sans oublier le lancement, programmé pour le deuxième trimestre 2015, d’Africanews, la chaîne d’information africaine d’Euronews, dont le siège se situera à Brazzaville. Le projet est piloté par Stephen Smith, ancien directeur Afrique des quotidiens français Le Monde et Libération, en partenariat avec Télé Congo.

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