Le temps des embusqués
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 25 août 2014 Lecture : 3 minutes.
Congo na Bisso
Dieu écrit droit avec des lignes courbes, dit un proverbe portugais. Au point que, parfois, on s’y perd un peu. Ainsi en va-t-il de la stratégie de communication pour laquelle semblent avoir opté Denis Sassou Nguesso, le chef de l’État congolais, et les quelques membres de son gouvernement habilités à (ou volontaires pour) s’exprimer sur la question ultrasensible de la modification de la Constitution.
À les entendre, le débat ne porte pas sur la possibilité ou non d’une candidature de Denis Sassou Nguesso à la présidentielle de 2016, mais sur la nécessité de changer la Constitution de 2002, jugée à la fois obsolète et déséquilibrée.
Quelles que soient la validité et la sophistication de ces arguments, il est vrai surtout à usage extérieur, force est de reconnaître qu’ils passent largement au-dessus de la tête de la grande majorité des Congolais, lesquels ont en revanche parfaitement compris que la seule question qui vaille réside dans l’effet collatéral d’un changement de Constitution : oui ou non, est-il bon pour le Congo que Denis Sassou Nguesso sollicite un nouveau mandat dans deux ans ?
Pour l’opposition radicale – qui, curieusement, à la différence de l’opposition dite républicaine, défend aujourd’hui un texte fondamental qu’elle a combattu hier -, la réponse est clairement non. Elle est dans son rôle. Plus étonnante par contre est la timidité, voire la frilosité de l’entourage politique du chef, comme tétanisé à l’idée de monter au front – à moins que ce ne soit par des agendas personnels – et de prendre des initiatives tant que l’intéressé lui-même n’aura pas publiquement déclaré ses intentions.
Formation motrice d’une majorité présidentielle qui donne des signes d’impatience, le Parti congolais du travail (PCT) lui-même semble hésiter à assumer un mot d’ordre du type "Sassou 2016", en s’abritant derrière la réserve d’un président du comité central dont tout porte à croire qu’il sera candidat – une attitude qui s’explique sans doute par la persistance au sein du PCT d’une culture et de réflexes d’ex-parti unique, peu porté sur la prise de risques, malgré les réels efforts de modernisation entrepris depuis son sixième congrès, il y a trois ans.
À Brazzaville en ce moment, un mot fait florès pour qualifier les politiciens attentistes proches du pouvoir, qu’ils soient des ministres en vue ou de proches collaborateurs du chef de l’État : "les embusqués".
Denis Sassou Nguesso, 70 ans, présente pourtant quelques solides avantages comparatifs : il est l’homme de la paix dans un pays encore traumatisé par la guerre civile, il a transformé le visage infrastructurel du Congo, il est le seul parmi ses pairs à mouiller sa chemise dès qu’une crise régionale se présente. Le seul aussi, depuis la disparition politique de Pascal Lissouba et de Bernard Kolélas, à jouir d’un charisme et d’une notoriété auxquels aucun de ses adversaires ne saurait prétendre à l’échelle nationale.
Mais l’élection de 2016 ne lui est pas pour autant offerte d’avance sur un plateau doré, et le chemin qui y mène est semé d’embûches. Imaginer qu’il pourra le parcourir avec une équipe inchangée, assez largement usée aux yeux de l’opinion et partiellement atteinte par la limite de compétence, serait une erreur.
Quitte à se faire violence et afin de donner le signal fort d’un nouveau départ, il lui faudra couper les branches mortes et jouer la carte d’une gouvernance féminisée, rajeunie, honnête, soumise aux déclarations de patrimoine et à l’obligation de sobriété en toutes choses.
Une gouvernance plus proche du peuple, en quelque sorte, ce peuple vers lequel il devra se tourner à deux reprises avant l’échéance cruciale, suivant en cela la procédure normale de révision des institutions. Une première fois en soumettant à l’approbation des deux chambres du Parlement le projet de nouvelle Constitution. Puis une deuxième fois directement, pour consulter les électeurs par référendum.
S’il veut sortir de l’atmosphère politique quelque peu délétère qui règne aujourd’hui au Congo et, comme le dit le prophète Isaïe, "rendre droit ce qui est sinueux", Denis Sassou Nguesso n’a pas d’autre choix. Après dix-sept années au pouvoir, sa future candidature aura besoin d’habits neufs. Ils sont à sa portée.
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