Birmanie : le thanakha et la guerre des cosmétiques
Produit de beauté naturel et traditionnel, le thanakha subit la concurrence pas très loyale des produits chinois et occidentaux.
Nyen-ste est mécontente. Depuis qu’elle travaille dans un hôtel du centre de Rangoon fréquenté par des étrangers, ses nouveaux patrons lui ont interdit de porter du thanakha sur son visage. Pourtant, depuis son plus jeune âge, elle applique quotidiennement sur sa peau cette pâte végétale blanc-jaune.
Comme toutes les Birmanes. Mais le manager de l’hôtel lui a expliqué que les deux disques qu’elle trace sur ses joues "font paysan". "Il paraît que cela fait sale", explique Nyen-ste, d’autant plus dépitée que, traditionnellement, "porter du thanakha" signifie en birman "s’être lavé".
Les propriétés de ce cosmétique traditionnel sont innombrables. Antirides, hydratant et astringent, il protège aussi des brûlures du soleil et agit contre l’acné et les mycoses. Si la jeune femme est en colère, c’est que le thanakha fait vivre sa famille depuis des générations.
Son père et ses frères cultivent plusieurs centaines d’arbres autour de leur maison, dans la région de Mandalay. De la même famille que les citronniers utilisés en ébénisterie, les arbres à thanakha mettent trente-cinq ans pour parvenir à maturité, mais on peut commencer à vendre l’écorce dès que les troncs ont atteint une dizaine de centimètres de diamètre.
"Aujourd’hui, se plaint la jeune femme, des sociétés chinoises produisent une poudre conditionnée dans des petites boîtes. Elles ont racheté des plantations et cassent les prix. Hier, un arbre se vendait une soixantaine de dollars. Contre à peine 30 aujourd’hui.
Et la poudre chinoise, on ne sait pas ce qu’elle contient !" De fait, en novembre 2013, deux enfants de la communauté birmane de Kansas City, aux États-Unis, ont été hospitalisés pour saturnisme. Des analyses réalisées en Australie ont décelé la présence de métaux lourds dangereux pour la santé.
Concurrence des cosmétiques chinois ou coréens
Mais plus encore que les poudres frelatées chinoises, Nyen-ste redoute l’arrivée des grandes marques occidentales, à qui le potentiel du marché birman n’a pas échappé. Depuis la fin de la dictature militaire, des étals multicolores surchargés de cosmétiques importés de Chine ou de Corée du Sud ont fait leur apparition dans les rues. Une concurrence impitoyable pour les vendeurs de thanakha, qui, peu à peu, quittent le centre-ville.
Dans les grands centres commerciaux de Rangoon, la poudre végétale est carrément proscrite. "On ne peut décemment pas vendre des produits Maybelline avec les joues peinturlurées de jaune !" explique crûment une représentante de L’Oréal. La grande marque française envisage d’ailleurs d’ouvrir une filiale à Rangoon avant la fin de l’année.
En attendant, Nyen-tse arbore consciencieusement fond de teint et rouge à lèvres pour servir ses clients de l’hôtel. Mais le soir, à peine rentrée chez elle, elle s’enduit de pâte blanche. Pour ne pas avoir des rides comme les Occidentales.
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