Argentine : un ubuesque engrenage financier
En tranchant en faveur de deux fonds spéculatifs dans le conflit qui les oppose au gouvernement de Cristina Kirchner, le juge new- yorkais Thomas Griesa se doutait-il du séisme qu’il allait déclencher ?
Le juge new-yorkais Thomas Griesa a-t-il compris qu’en appliquant à la lettre la loi américaine au détriment de l’Argentine, il mettait en péril la finance mondiale ? Toujours est-il qu’après avoir interdit à ce pays de rembourser ses prêteurs ayant accepté de réduire de 65 % leurs créances tant qu’il n’aurait pas remboursé deux fonds vautours exigeant, eux, la totalité, il a soudainement baissé d’un ton. Le 1er août, il a ordonné que "vautours" et Argentine trouvent un compromis.
Retour sur cet abus de droit qui mobilise les Argentins autour de Cristina Kirchner, leur présidente. En 2001, incapable de rembourser une dette de 100 milliards de dollars, l’Argentine négocie avec ses créanciers une restructuration de sa dette, c’est-à-dire la diminution de celle-ci en échange de la promesse de rembourser le nouveau montant.
Quatre-vingt-treize pour cent des créanciers acceptent une réduction moyenne de 65 % de leurs titres. Mais 7 % refusent. Elliott et Aurelius, deux fonds vautours spécialisés dans le rachat d’obligations décotées, acquièrent à prix cassé la dette argentine et demandent en justice le paiement de 100 % de la valeur de leurs titres. Elliott, qui a payé 50 dollars pièce les obligations argentines, en veut à présent 800 dollars, soit 1 600 % de bénéfice. Il espère le même succès qu’avec le Pérou, la Zambie et les deux Congos.
En 2012, Elliott et Aurelius font séquestrer pendant deux mois au Ghana un navire argentin.
En 2012, Elliott et Aurelius font séquestrer pendant deux mois au Ghana un navire argentin. Les choses en sont au point que Kirchner s’abstient désormais de voyager à l’étranger à bord de son avion de peur que celui-ci soit saisi. La même année, les "vautours" obtiennent du juge Griesa qu’il interdise à l’Argentine de rembourser les autres créanciers avant eux. Le 30 juillet, la Bank of New York Mellon ne peut verser les 539 millions de dollars que l’Argentine lui a confiés pour payer sa dette. Et le pays est déclaré en "défaut sélectif" par l’agence de notation Standard & Poor’s.
La situation est ubuesque. Buenos Aires a l’argent pour remplir ses obligations, mais le juge Griesa lui interdit d’en faire usage. À la rigueur, l’Argentine pourrait payer 1,33 milliard de dollars réclamés par Elliott et Aurelius, puisqu’elle dispose de 28 milliards de réserves. Mais les autres fonds ayant refusé la décote seraient alors en droit de demander le même traitement, ce qui coûterait 15 milliards de dollars. Sans compter qu’une clause dite Rufo (pour Right Upon Future Offers) interdit de désavantager avant la fin 2014 les 93 % des créanciers ayant accepté la décote. L’addition atteindrait alors 120 milliards de dollars !
De l’extorsion, selon Axel Kicillof
On comprend qu’Axel Kicillof, le ministre argentin de l’Économie, refuse ce qu’il appelle de l’"extorsion". Buenos Aires envisage de déposer plainte contre les fonds vautours, pour manoeuvres frauduleuses, auprès de la Securities and Exchange Commission, le gendarme de la Bourse de New York. Autre solution à l’étude : le rachat de la créance des "vautours" par des banques privées, qui se feraient rembourser 1,33 milliard de dollars par l’État argentin… après la date fatidique du 31 décembre 2014.
Si une centaine d’économistes américains ont, le 1er août, écrit au Congrès que ce blocage risque de "causer des dégâts économiques inutiles au système financier international et aux intérêts des États-Unis", c’est que "le cas argentin augmente l’incertitude sur l’issue des renégociations de dette dans le futur, au détriment à la fois des États et des créditeurs", analyse Olivier Blanchard, le chef économiste du FMI.
Si la loi des prédateurs l’emportait désormais dans les prétoires en cas de faillite d’un État, les investisseurs seraient en effet beaucoup plus regardants à l’avenir quant à l’identité de l’emprunteur : pas question de se trouver désavantagés par rapport à d’autres créanciers sans scrupules. Autre réaction qui menace les États-Unis : emprunteurs et bailleurs pourraient se montrer de plus en plus enclins à placer leurs contrats sous la juridiction européenne, qui met tous les créanciers sur un pied d’égalité. Avocats et "vautours" américains pourraient alors faire une croix sur les procès mirifiques !
En attendant, le match Argentine-"vautours" continue.
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