Un médecin guinéen rescapé d’Ebola : « Au début, j’ai cru à une crise de paludisme… »
L’épidémie implacable, qui a fait plus de 700 morts en Afrique de l’Ouest depuis le début de l’année, n’épargne personne. Médecins, infirmiers et aides-soignants s’exposent pour sauver des vies. Témoignage d’un docteur guinéen atteint par le virus et qui en a réchappé.
Sheik Umar Khan était le virologue chargé de la lutte contre l’épidémie au Sierra Leone. Le 29 juillet, il a succombé à Ebola en tentant de l’enrayer. Au Liberia, un autre spécialiste de renom, Samuel Brisbane, est décédé, et Kent Brantly, un docteur américain, est actuellement hospitalisé dans un état grave après avoir contracté le virus à son tour.
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Gilles (le nom a été changé), 30 ans, médecin généraliste guinéen, a eu plus de chance. Contaminé au sein de l’hôpital Donka à Conakry – où un camp de Médecins sans frontières (MSF) est installé depuis plusieurs mois -, il a survécu.
jeune afrique : Où et quand avez-vous été infecté par le virus Ebola ?
Gilles : J’ai été contaminé à l’hôpital, par un autre médecin. Il est tombé malade après avoir traité un patient venu de Guéckédou [épicentre de l’épidémie en Guinée forestière]. À ce moment-là, personne ne savait qu’il s’agissait d’Ebola, nous n’avions donc aucune protection particulière. Je lui ai prodigué tous les soins possibles, mais il est décédé. Une semaine plus tard, je ressentais à mon tour les premiers symptômes… Une fièvre qui atteint rapidement les 41 degrés, de violents maux de tête, de la diarrhée et des vomissements.
Au départ, j’ai pensé à une crise de paludisme. J’ai donc pris des médicaments qui n’ont eu aucun effet. Le lendemain, les autorités recevaient les résultats d’analyses effectuées en France et annonçaient qu’il s’agissait du virus Ebola. Mes tests se sont révélés positifs et j’ai été transféré au centre de traitement de MSF.
Comment avez-vous été soigné ?
Par une réhydratation intense. Les médecins me donnaient également des aliments énergétiques pour que mon corps puisse se défendre et éliminer le virus. Au bout d’une semaine, mes symptômes ont régressé et ont ensuite complètement disparu. Aujourd’hui, je ne garde aucune séquelle.
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Comment expliquez-vous que, contrairement à tant d’autres, vous ayez tenu le choc ?
J’ai longtemps travaillé dans un service qui traitait les maladies diarrhéiques, je savais quels réflexes adopter. Je me réhydratais en permanence, me forçais à boire, même si je vomissais ensuite. D’autre part, j’ai été diagnostiqué et soigné très tôt. Enfin, et c’est primordial, j’ai accepté le fait que j’étais positif à la maladie et n’ai pas cédé à la panique.
Avez-vous recommencé à exercer ?
Après ma guérison, MSF m’a demandé de respecter un délai de vingt et un jours avant de considérer toute activité professionnelle. J’ai repris le travail tout de suite après. Je voulais remonter le moral de mes confrères, leur montrer par ma présence que même si cette maladie est terrible, on peut en guérir.
Comment s’est passé votre retour à la vie "normale" ?
Je pensais qu’une fois guéri, le calvaire serait terminé, mais je me suis rendu compte que ce n’était que le début. À ma sortie du centre de traitement, je n’ai reçu aucune visite, ni de mes voisins ni de mes parents. Le propriétaire de mon appartement a menacé plusieurs fois de m’expulser, mais semble heureusement avoir changé d’avis. Un jour, j’espère pouvoir parler de mon expérience à visage découvert. Mais pour le moment, le risque de stigmatisation est beaucoup trop fort.
L’Afrique et le monde en état d’urgence
"Ce n’est pas un problème libérien, ni sierra-léonais, ni guinéen. C’est un problème international." Arrivée le 1er août à Conakry pour participer à une réunion d’urgence sur l’épidémie d’Ebola entre chefs d’État des pays touchés – Guinée, Liberia, Sierra Leone – et de la Côte d’Ivoire, Ellen Johnson Sirleaf n’a pas eu de mots assez forts pour décrire la situation.
"On approche de la catastrophe", a prévenu la présidente libérienne, qui a décidé de fermer toutes les écoles, les stades et les marchés situés en zones frontalières. Dans la foulée, son homologue sierra-léonais, Ernest Bai Koroma, a décrété l’État d’urgence sanitaire. Tous deux ont déclaré qu’ils ne se rendraient pas à Washington du 4 au 6 août pour le sommet États-Unis – Afrique.
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Sans précédent
Si les mesures prises sont de plus en plus radicales, c’est que ces deux pays abritent désormais les foyers les plus actifs de cette épidémie qui a débuté au début de l’année en Guinée. Entre le 24 et le 27 juillet, soit en quatre jours seulement, 122 nouveaux cas ont été enregistrés dans la région, dont 80 dans le seul Liberia et un – aujourd’hui décédé -, pour la première fois, au Nigeria – pays de près de 180 millions d’habitants. À l’heure où nous mettions sous presse, le nombre total de victimes s’élevait à 1 323, dont 729 décès. Face à cette épidémie sans précédent, la communauté internationale semble enfin s’alarmer.
De nombreux États africains renforcent les contrôles aux frontières, mettent en place de nouvelles mesures sanitaires et des compagnies aériennes ont suspendu leurs liaisons vers les zones touchées. Plusieurs pays européens demandent à leurs ressortissants d’éviter de s’y rendre. Le 31 juillet, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a débloqué 100 millions de dollars (75 millions d’euros) dans ce cadre pour lutter contre l’épidémie, qui progresse inexorablement.
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