Maroc : le discours d’un roi
Depuis les voyages qu’y fit Ibn Battûta au huitième siècle de l’hégire, nul n’ignore combien l’histoire qui relie les deux rives du Sahara est complexe et tourmentée, mélange d’attirance et de répulsion, entrelacs de cultures et de crispations identitaires, de partages religieux et de séquelles toujours vivaces de l’esclavage.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 28 août 2017 Lecture : 4 minutes.
En toile de fond des insupportables violences que subissent les migrants subsahariens réduits à l’état de bêtes de somme à travers ces zones de non-droit que sont le désert libyen et la péninsule du Sinaï, il y a certes le racisme brut, mais aussi cette histoire douloureuse qui n’a pas fini d’encombrer le présent de son arrière-faix. C’est dire l’intérêt du discours que Mohammed VI a prononcé le 20 août à Rabat.
Un discours exclusivement consacré à l’Afrique – dans la bouche d’un chef d’État maghrébin, le fait est inédit depuis des lustres – délivré, qui plus est, lors d’une commémoration à la fois annuelle et purement nationale (la Révolution du roi et du peuple), ce qui en exclut toute motivation opportuniste. On connaissait certes la passion africaine d’un monarque qui, depuis son accession au trône, a effectué une cinquantaine de voyages sur le continent et visité une trentaine de pays, mais jamais tropisme ne s’était exprimé en des termes aussi forts : « liens fusionnels », « orientation immuable », « communauté de destins », « œuvre solidaire » un martèlement quasi charnel conclu sur une ode au peuple de Madagascar qui jadis accueillit l’aïeul Mohammed V en son exil.
« En ce qui nous concerne, l’Afrique représente l’avenir », répète M6 dans cette adresse à son peuple. La volonté affichée est à la fois politique, économique, pédagogique et symbolique. En expliquant aux Marocains qu’ils sont africains – ce qui ne va pas de soi pour nombre d’entre eux –, M6 contribue à panser les plaies toujours ouvertes du passé.
Si la priorité africaine du royaume « apporte une plus-value à l’économie nationale », où est le mal ?
Certains y verront – y voient déjà – une motivation intéressée : ce que le roi chercherait en réalité à promouvoir et à entraîner dans son sillage africain, ce sont les bonnes affaires des investisseurs marocains. Et alors ? répond M6, si la priorité africaine du royaume « apporte une plus-value à l’économie nationale », où est le mal ?
Considérer le continent comme une terre d’opportunités et de marchés à conquérir, n’est-ce pas contribuer à son développement ? On ne commerce ni ne contracte dans le mépris de l’autre, explique-t-il, avant d’ajouter que « la vraie source de profit n’est pas l’argent précaire, mais l’essence impérissable de la connaissance ». Variante critique, à la une cette fois de Liberté, journal algérien propriété de l’industriel Issad Rebrab : en misant aussi gros sur « le continent noir », le roi du Maroc tournerait « définitivement le dos au rêve maghrébin » et porterait à l’UMA le coup de grâce. Bien vu. Sauf qu’on n’achève pas un comateux en état de mort cérébrale, après vingt-trois ans de fermeture des frontières communes. On se contente d’attendre que sa mort clinique soit prononcée – tout en vaquant à d’autres occupations.
Pas un mot sur l’attentat de Barcelone, survenu à peine trois jours plus tôt
Reste que si ce discours d’un roi émeut par l’intensité de sa foi africaine, il étonne aussi les médias européens par son non-dit. Pas un mot sur l’attentat de Barcelone, survenu à peine trois jours plus tôt. Rien sur les terroristes des Ramblas ou celui de Turku (Finlande), tous marocains – cette nationalité qui, disait Hassan II, ne s’acquiert ni ne se perd. Tout pour l’Afrique, rien que de l’Afrique, comme si le royaume n’était plus concerné par ce que perpètrent en Europe ses fils dévoyés.
Cette indifférence n’est pourtant qu’apparente, elle est même tout le contraire de la réalité. Il y a d’abord l’habitude souveraine : dans ses discours comme dans ses actes, un roi marocain ne mélange pas les genres et ne saurait laisser flotter son propos au fil de l’actualité, si convulsive fût-elle. Il y a, surtout, la prise en compte d’un double constat. Le fait d’abord que l’État marocain n’a plus de prise sur ceux de ses ressortissants dont la radicalisation s’est effectuée en Europe, sous la juridiction et la surveillance (parfois aléatoires) des services de sécurité européens et dans un contexte (échec des politiques d’intégration, frustrations sociales, sentiment de rejet) spécifiquement européen. Parmi les terroristes de Barcelone, certains avaient quitté le royaume à l’âge de 5 ans, voire dès l’âge de 6 mois, et prenaient soin de ne donner, lors de leurs séjours dans leurs localités d’origine, aucun signe repérable de militantisme.
Suggérer, comme l’ont fait des journaux espagnols ou britanniques, que le Maroc se débarrasserait de ses jihadistes en facilitant leur émigration vers l’Europe, voire qu’il existerait une sorte de prédisposition génétique des Marocains à l’extrémisme, n’a donc aucun sens. Si aucun attentat n’y est survenu depuis celui du café Argana à Marrakech il y a plus de six ans, alors que le royaume présente toutes les caractéristiques de la cible recherchée par Daesh et Al-Qaïda, c’est aux méthodes et à l’efficacité de sa police qu’il le doit, ainsi qu’au contrôle en profondeur d’un champ religieux où l’autorité du Commandeur des croyants s’exerce sur fond d’islam tolérant.
Pour diverses raisons, les premières ne sont pas exportables. Alors que « l’islam du juste milieu », lui, l’est… en Afrique. En évoquant, dans son discours du 20 août, « l’essence impérissable de la connaissance », M6 faisait aussi référence à ce produit immatériel – mais combien précieux – d’exportation « made in Morocco ».
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