Lamine Kamara : « J’ai pardonné à ceux qui m’ont enfermé »
Ancien prisonnier, ex-ministre et dernièrement cheville ouvrière de « Conakry, Capitale mondiale du livre de l’Unesco », l’auteur guinéen Lamine Kamara a récemment publié un roman, « Mariame Waraba ou le destin d’une femme », écrit en prison il y a plusieurs décennies.
« Auteur, ancien ministre, j’ai commencé à gauche avant que des gens de gauche ne me mettent en prison et que je revoie un peu mon jugement… » Lamine Kamara a le sens des présentations. À 78 ans, cet ancien ministre des Affaires étrangères de Lansana Conté, enfermé sept ans au sinistre Camp Boiro sous Sékou Touré, publie Mariame Waraba ou le destin d’une femme, aux Éditions Continentales.
Le livre a été publié à l’occasion de « Conakry, Capitale mondiale du livre de l’Unesco ». Kamara, connu pour son roman Safrin ou le duel au fouet, paru en 1991 chez Présence Africaine, a participé à l’élaboration de l’événement en tant que président de l’Association des écrivains de Guinée.
Mariame Waraba ou le destin d’une femme, drame aux allures de conte populaire qui se déroule dans trois ou quatre pays africains durant la colonisation, se veut un hommage à la culture mandingue et un travail sur la place des femmes dans l’histoire ouest-africaine. Jeune Afrique a rencontré son son auteur.
Jeune Afrique : Un jeune rappeur franco-ivoirien, Kaaris, se clame, dans une chanson récente, « descendant de Sékou Touré ». Vous comprenez cet attrait ?
Lamine Kamara : Bien sûr. Moi-même j’ai été membre des jeunesses du parti. J’étais fasciné par Sékou Touré avant d’atterrir en prison à mes 31 ans. Il y a deux Sékou Touré : le leader charismatique de l’indépendance et celui qui enfile le costume de chef d’État et plonge le pays dans la répression et le non-développement économique.
Vous avez pardonné ?
Mon livre Guinée sous les verrous de la révolution se terminait par le mot « Pardon ». J’ai pardonné, mais je pense que nous devons mener un travail national de réconciliation, afin que justice soit rendue et que la vérité soit rétablie. Je suis d’ailleurs membre du comité consultatif pour la réconciliation nationale.
En prison, il fallait fabriquer le manuscrit au sens propre
Ce livre, c’est un premier roman publié à presque 80 ans, c’est bien cela ?
Ce n’est pas le premier que j’ai écrit. Mais en effet, il a été rédigé alors que je n’étais que dans ma trentaine, en prison. Là-bas, il fallait déjà fabriquer le manuscrit au sens propre : ramasser des cartons de sucre, transformer le carton en feuilles de papier, puis coller les pages à l’aide d’une pâte de lait et enfin faire sortir le manuscrit par des gardiens…
Il y a un personnage étonnant dans votre roman plutôt réaliste : une hyène qui parle et marche sur ses pattes arrières…
Dans la littérature mandingue, il n’y a pas une histoire dans laquelle on ne trouve pas une hyène ! Souvent, les hyènes ne sont douées que d’une intelligence terre-à-terre, pragmatique… Surtout, elles sont prêtes à tout. Dans mon roman, les chasseurs lui laissent la vie sauve. Du coup, ma hyène revêt plusieurs aspects : elle est à la fois la tradition de nos comptes oraux et un message moderne pour la préservation des espèces.
À une époque pas si lointaine, toute la richesse qu’on pouvait espérer, c’était des enfants
On est parfois perdu à la lecture de votre livre : on ne sait plus ce qui relève de la fiction et ce qui appartient au domaine de la chronique historique.
C’est volontaire. Je voulais parler de faits sociaux bien précis, comme le fait – toute l’histoire tourne autour de cela – qu’à une époque pas si lointaine, toute la richesse qu’on pouvait espérer, c’était des enfants. Que les femmes priaient pour avoir des enfants des deux sexes, que les élever était un travail à part entière ! Quelques anecdotes et personnages, par ailleurs, sont bien réels, comme le chansonnier Lanfia Kouyaté, un peu bonimenteur et très talentueux, toujours en vie aujourd’hui ! Tout le monde l’adore en Guinée, même le président fait appel à ses services !
Le colon est très absent du roman, même si la toile de fond est bien la présence étrangère. Pourquoi ce choix ?
Je ne peux pas, dans le roman, faire l’impasse sur les altérations induites par la colonisation. Mais je ne voulais pas centrer mon histoire là-dessus : la littérature guinéenne a déjà beaucoup produit à ce sujet. Alors je montre plutôt les retombées « à taille humaine » de cet épisode violent. À travers la figure de l’interprète par exemple, qui essaie de tirer profit de sa proximité avec les Français pour arranger son quotidien…
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