Soudan du Sud – Gérard Prunier : « Il faut organiser une rencontre nationale à l’étranger »

Sceptique sur le fait de qualifier la situation sud-soudanaise de « génocidaire », l’historien français n’est est pas moins inquiet et appelle à une rencontre engageant Salva Kiir et son principal opposant Riek Machar.

Des soldats de l’armée sud-soudanaise, en 2012 dans l’État d’Unité. © Pete Muller/AP/SIPA

Des soldats de l’armée sud-soudanaise, en 2012 dans l’État d’Unité. © Pete Muller/AP/SIPA

CRETOIS Jules

Publié le 30 août 2017 Lecture : 3 minutes.

L’historien français Gérard Prunier, auteur de plusieurs ouvrages en français et en anglais sur les conflits africains, donne son point de vue sur la situation au Soudan du Sud. Pour lui, la solution à la guerre ne peut être que politique et passe par une rencontre élargie. Interview.

Des experts de l’ONU évoquent des signaux de « génocide imminent » au Soudan du Sud. Êtes-vous d’accord avec cette analyse ?

Je ne crois pas qu’on puisse parler de génocide. Il n’y a pas, je crois, de machine génocidaire qui soit lancée aujourd’hui au Soudan du Sud, et ce même si les massacres prennent des tournures effrayantes. Ce qui se passe est en vérité très étonnant. Aujourd’hui, derrière Salva Kiir, des Dinkas se regroupent pour s’assurer un monopole sur l’armée et sur le Mouvement populaire de libération du Soudan. Dès qu’un groupe semble pouvoir les concurrencer, c’est-à-dire dès qu’il dépasse les 200 ou  300 000 membres et dispose de potentiels cadres politiques ou militaires, ils se retournent contre lui pour l’affaiblir, l’intimider. Les Nuers sont les premiers à en faire les frais. Les Kukus, qui ne sont pas très nombreux, 150 000 tout au plus, risquent par exemple bien moins. Il y a bien une quête d’hégémonie, mais par forcément de volonté de génocide.

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Êtes-vous tout de même d’accord avec les propos de Priti Patel, la secrétaire d’État britannique au Développement international, qui assurait que la dynamique du conflit est « ethnique ».

Elle a un aspect politique, mais aussi un aspect ethnique, en effet, c’est indéniable. Kiir est à la tête d’une armée composée à 90% de Dinkas. C’est bien avec ce groupe qu’il compte gouverner. Cela n’empêche pas par ailleurs d’autres dynamiques d’apparaître. Kiir emploie encore des personnes qui ne sont pas des Dinkas. Taban Deng Gai, l’actuel vice-président que Kiir a nommé après le passage à la rébellion de Riek Machar, désormais son ennemi numéro un, n’est pas un Dinka. Et Machar, lui-même Nuer, compte parmi ses proches Mabior Garang, le fils de John Garang, fondateur de l’Armée populaire de libération du Soudan et quelque part le prédécesseur de Kiir, qui est Dinka.

Qu’on le veuille ou pas, Machar est devenu une figure d’opposition

Par ailleurs on remarque qu’au fur et à mesure que le conflit dure, des dynamiques locales prennent parfois le pas. Ces temps-ci, dans la région de Bahr El Ghazal, au vu des difficultés climatiques, des groupes dinkas se battent par exemple entre eux pour le contrôle de points d’eau et du bétail.

Les réfugiés au Soudan ou en Ouganda encourent-ils des risques ? Le conflit peut-il par ailleurs se propager sur ces territoires ?

A priori, on peut répondre non aux deux questions. La crise alimentaire et humanitaire est très violente et pèse sur les réfugiés de la même manière qu’elle impactera durablement les États dans lesquels ils sont. Mais a priori, ils ne courent pas de risque politique à proprement parler.

Percevez-vous des pistes pour une sortie de crise ?

On dit que le président kényan Jomo Kenyatta serait tenté de laisser Riek Machar, le principal opposant à Kiir, assigné à résidence, libre de ses mouvements. Ce serait positif : aucune paix n’est possible sans que Machar soit admis à la table des négociations. Il ne s’agit pas d’en faire un héros, mais de fait, qu’on le veuille ou pas, il est devenu une figure d’opposition, au-delà des Nuers. Des Dinkas et des Sud-soudanais de différents groupes le rejoignent. Il faut aujourd’hui organiser une rencontre nationale à l’étranger, à Nairobi ou à Addis-Abeba, avec des représentants de toutes les ethnies et de tous les groupes. Il faut convaincre Kiir, qui est aujourd’hui plus le roi de Juba que le président du Soudan du Sud, d’accepter une telle rencontre pour aller vers la formation d’un gouvernement mixte de transition.

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D’un autre côté, il faut expliquer à Machar en quoi une prise du pouvoir ne lui permettrait pas d’arrêter la guerre. L’autre solution qui semble se dessiner est de pousser Rebecca Nyandeng Garang, la veuve de John Garang, à concourir à une élection présidentielle. Il semblerait que cette option ait les faveurs de Kampala. Mais elle semble en vérité moins à même de résoudre la réelle et profonde fracture qui divise le pays. Garang pourrait vite se retrouver en fait prisonnière du clan qui est actuellement à la manœuvre.

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