Fatma, survivante de Rabaa : « Il y avait du sang partout »

Il y a un an, les autorités égyptiennes dispersaient dans le sang deux sit-ins en soutien à Mohamed Morsi, sur les places Nahda et Rabaa. Une répression d’une rare violence que HRW a qualifié de « l’un des massacres les plus importants commis dans l’histoire récente » : 904 personnes au moins y ont perdu la vie. D’autres ont survécu, et garderont à jamais l’image de ce qu’elles qualifient de « vision d’horreur ». Témoignage de Fatma, une survivante.

Une femme s’interpose entre un bulldozer et un jeune blessé sur la place Rabaa, le 14 août 2013. © Mohamed Abdel Moneim/AFP

Une femme s’interpose entre un bulldozer et un jeune blessé sur la place Rabaa, le 14 août 2013. © Mohamed Abdel Moneim/AFP

Publié le 14 août 2014 Lecture : 3 minutes.

"Tu vois, les snipers étaient partout. Là, sur ces immeubles, là…là aussi." Quand on lui demande combien de ses amis elle a vu mourir ce jour-là sur la place Rabaa, Fatma se met à compter sur ses doigts. Une liste de noms interminable. "Habiba, Ismaela, Belal… Une quinzaine au moins".

Le visage encadré d’un long foulard, Fatma, 25 ans et proche des Frères musulmans, nous a donné rendez-vous près de Raba’a al-Adiawiya, là où il y a un an, elle a vu la mort en face. La place a retrouvé son calme d’antan. Seuls quelques stigmates du massacre perpétré 12 mois plus tôt sont encore visibles. "Allah Ouharib" (la victoire sera pour Allah)… Des tags en mémoire des martyrs trônent encore sur quelques murs, maladroitement recouverts avec une peinture trop légère.

Ces rues, dans lesquelles nous avions de bons souvenirs, sont devenus des lieux de désolation.

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"Ces rues, dans lesquelles nous avions de bons souvenirs, sont devenus des lieux de désolation", dit-elle en posant un regard triste sur l’avenue commerçante où autrefois elle faisait du shopping avec ses amies. Un lieu familier pollué d’images dont elle ne se défera jamais. "Tous les mètres, j’ai un mauvais souvenir… Ici, Belal a été tué", s’interrompt-elle. "Là, ils ont tué Hamas", quelques mètres plus loin.

Un à un, elle égrène les noms de ses amis morts en marchant sur Nasr shera, la longue artère qui traverse Héliopolis et donne sur Rabaa. "On avait choisi Rabaa parce que c’était une petite place avec beaucoup d’immeubles autour, plus difficile à encercler que Tahrir, plus facile de s’en échapper aussi". En théorie.

>> Lire aussi : Sissi et le massacre de Rabaa al-Adawiya, le Tian’anmen égyptien

Le 14 août 2014, l’assaut est donné au petit matin par les forces de sécurité égyptiennes. "On campait. On ne faisait rien de mal, on priait, on faisait l’Iftar, on se rassemblait pour appeler au retour de notre président", raconte Fatma. Le Ramadan s’était terminé la veille. À 6 heures du matin, les premières grenades lacrymogènes sont lancées sur le camp. Suivies de tirs à balles réelles. Sans sommation.

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"Il y avait clairement un plan : celui d’ouvrir le feu sur la foule, en ayant auparavant bouclé toutes les issues de secours", assène le rapport de Human Right Watch. Sur la petite esplanade où Fatma campait, aujourd’hui, des policiers tiennent la garde près de leurs camions grillagés spécialement prévus pour disperser des foules hostiles. "Ce sont ces camions-là qu’ils ont utilisés. Ils avaient mis des pare-chocs et des chaines aux roues, avec des piques, comme des barbelés. Ils sont entrés sur le camp et ont renversés les gens, ils leur ont roulé dessus", explique-t-elle.

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"Zone de guerre"

"Les corps ont littéralement explosé, déchiquetés. C’était pas une simple dispersion violente de manifestations comme on avait l’habitude de voir, c’était une zone de guerre." Quelques minutes après l’assaut, c’est son amie Ismaëla, qui tombe à côté d’elle. Fatma dégaine son iPad et fait défiler des photos de son amie, les yeux dans le vide, blême. "Sur ces images, elle est en train de mourir…"

Des gens mourraient, partout, ils étaient blessés, et on continuait de leur tirer dessus.

La jeune femme raconte alors, comment elle a échappé aux balles, aux voitures-béliers lancées contre la population et aux feux, allumés ça et là sur le camp pour "finir le boulot" selon ses propres mots. "Tu vois cet immeuble, j’étais cachée là, au 12e étage. J’avais une vue imprenable sur ce qui se passait. Sur le toit juste en face, ils étaient postés avec leurs armes et dans des hélicoptères. C’était impossible de survivre si tu étais en bas (…) Ils ont utilisés tous les moyens à leur disposition pour nous tuer (…) Quand je suis sortie de la cage d’escalier, ils m’ont tiré dessus, j’ai couru d’immeuble en immeuble. Quand je suis arrivée sur la place, il y avait du sang partout".

"Des gens mourraient, partout, ils étaient blessés, et on continuait de leur tirer dessus." Jusque dans les hôpitaux de fortune, affirme-t-elle. Des informations confirmées par le rapport de HRW, qui considère que cet évènement est « comparable aux évènements de Tiananmen" et dénonce "des crimes contre l’Humanité". Et Fatma de conclure : "Nous avons été tués par les nôtres. Par notre propre police qui est sensée nous protéger (…) Qu’est-ce que je peux dire de plus…"

>> Pour aller plus loin : "All according to plan", le rapport complet de Human Rights Watch sur le massacre de Rabaa al-Adawiya.

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