Hael Al Fahoum : « Si cela dépend d’Israël, il n’y aura aucun accord avec les Palestiniens »

Près de 2 000 morts en un peu plus d’un mois, dont une majorité de civils. Mais le bilan de la dernière offensive israélienne sur Gaza reste provisoire tant que les négociations en cours au Caire ne sont pas conclues. L’ambassadeur de Palestine en France, Hael Al Fahoum nous a livré son analyse dans un long entretien.

Hael Al Fahoum, ambassadeur et chef de la Mission de Palestine en France. © JA

Hael Al Fahoum, ambassadeur et chef de la Mission de Palestine en France. © JA

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 14 août 2014 Lecture : 7 minutes.

Lancée le 8 juillet 2014, l’opération israélienne "Bordure protectrice" a une nouvelle fois braqué les projecteurs sur la bande de Gaza. L’offensive de Tsahal, qui se veut tournée contre le Hamas et le Jihad islamique en réponse à l’enlèvement de trois jeunes colons israéliens, a fait, en un peu plus d’un mois, près de 2 000 morts et environ 10 000 blessés.

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Si les trêves, plus ou moins respectées, se succèdent, les négociations sont toujours au point mort entre les délégations palestiniennes et israéliennes qui se font face au Caire, sous l’égide de la médiation égyptienne. Israël refuse la levée du blocus, condition posée par l’Autorité palestinienne. Une façon de "gagner du temps", estime Hael Al Fahoum, ambassadeur de Palestine en France, né à Nazareth en 1952, qui exhorte désormais les grandes puissances à faire pression sur Tel Aviv et à ne plus entretenir le système d’oppression qui étouffe le peuple palestinien. Interview.

Jeune Afrique : Que pensez-vous des négociations en cours sous la médiation de l’Égypte ?

Hael Al Fahoum : Je ne fais pas confiance aux Israéliens. Il faut que les grandes puissances usent de leurs contacts avec le gouvernement Netanyahou. Il faut qu’ils disent : "Nous sommes prêts à donner toutes les garanties de sécurité à Israël, mais nous ne donnerons pas un centime pour financer l’occupation des territoires palestiniens". Sinon, rien ne se passera. Il y a une initiative franco-anglo-allemande présentée par Laurent Fabius, il y a une petite délégation américaine au Caire mais je ne sais pas ce que ça donnera. Ce qui est sûr, c’est que si ça dépend du gouvernement israélien, il n’y aura aucun accord.

Qui négocie côté palestinien ? Le Fatah et Mahmoud Abbas ne sont-ils pas en retrait ?

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Il y a une délégation palestinienne qui n’est ni le Hamas, ni le Fatah, ni le Jihad islamique, ni aucun autre parti. Elle représente le gouvernement et les exigences palestiniennes et parle d’une seule voix. Les médias occidentaux parlent surtout du Hamas mais c’est avant tout une tactique israélienne. Cela a fonctionné dans le passé, mais je crois que cette fois, cela ne prend pas.

>> Extraits de l’interview d’Hael Al Fahoum, en vidéo <<

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Hael Al Fahoum : "Le peuple palestinien subit les subventions données à Israël par les grandes puissances" by Jeune Afrique

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Il n’y a donc pas de division entre le Hamas et le Fatah ?

Nous avons signé un accord de réconciliation [en avril 2014, ndlr] autour duquel il y avait un consensus international et celui-ci est maintenu. Le seul pays qui y était hostile, c’était Israël. À partir du moment où nous avons signé, les mafias politiques israéliennes ont paniqué et ont cherché un prétexte pour casser leur isolement. Résultat : qui a entamé les combats à Gaza ? L’armée israélienne. En se basant sur l’argument selon lequel le Hamas était derrière l’enlèvement de trois jeunes colons israéliens. Mais on ne connaît toujours pas les détails de cette histoire. Ils n’ont même pas attendu les preuves.

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Selon vous, quels étaient les objectifs de Tel Aviv ?

Ils en avaient trois : discréditer Mahmoud Abbas, casser le gouvernement d’union nationale en séparant la bande de Gaza du territoire palestinien et enfin casser leur isolement sur la scène internationale. Je pense qu’ils ont échoué sur les trois points.

Que répondez-vous à l’argument des "tunnels", utilisé par les défenseurs de la sécurité d’Israël ?

Mettez deux millions de personnes dans un camp de concentration où on manque de tout, sous blocus aérien, maritime et terrestre… Il faut bien que quelque chose puisse circuler. À Gaza, il n’y a pas d’eau, pas d’électricité. On manque même d’oxygène pour respirer. Environ 48% de la jeunesse, qui est peut-être la plus éduquée de la région, est au chômage. Comment peut-on attendre que deux millions de citoyens vivent sans aucun avenir pour leurs enfants, sans aucune sécurité ?

Comment peut-on attendre que deux millions de citoyens vivent sans aucun avenir pour leurs enfants ?

Vous avez critiqué une forme d’inaction, notamment de la France, sur le plan diplomatique. Que reprochez-vous ?

Il n’y a tout simplement aucune action et, surtout, on ne soulève pas la question qui est à l’origine de tous les problèmes : l’occupation. Ce n’est pas un conflit israélo-palestinien confessionnel. C’est un conflit politique et juridique avec la Palestine seule face à toutes les subventions données par les grandes puissances à Israël, qui cherche à camoufler le génocide contre le peuple palestinien. Si vraiment on veut résoudre la crise, que ces puissances laissent les deux parties face à face. La France vend et achète des armes à Israël, même chose pour l’Allemagne et l’Angleterre. Les Américains financent 90 à 95% des forces de frappe israéliennes et utilisent l’espace palestinien comme un laboratoire pour leurs armements. C’est l’explication du financement du dôme de fer. Il n’y a pas d’humains, il y a des diables derrière cette stratégie.

Vous critiquez un double-jeu américain ?

Pourquoi n’ont-ils pas donné les mêmes subventions pour protéger les civils palestiniens ? Le peuple palestinien subit les conséquences d’une stratégie américaine héritée de la décolonisation. Il fallait diviser la région pour avoir la mainmise sur les ressources naturelles et imposer le dollar. On veut anéantir le peuple palestinien et faire de cela un moyen de dissuasion contre les régimes arabes du Proche-Orient. La communauté internationale a une dette envers le peuple palestinien. Mais si elle ne veut pas la payer, qu’elle nous laisse tranquille, qu’elle nous débarrasse de cette occupation subventionnée par elle.

La communauté internationale a une dette envers le peuple palestinien.

La Palestine a-t-elle les moyens de subvenir à ses besoins et à sa sécurité ?

Nous sommes capables de nous développer et de couvrir nos besoins et nous le ferons.

Vous avez demandé l’intervention des Casques bleus en Palestine. En quoi cela consiste-t-il ?

Nous avons demandé la protection internationale pour l’ensemble des citoyens palestiniens dans les territoires occupés. Il y a un mécanisme onusien qui existe, comme au Sud-Liban. Il faut l’appliquer en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza. On ne peut pas séparer Gaza des territoires palestiniens. Les Israéliens tentent de le faire pour se débarrasser du problème démographique mais cette tactique va échouer. Ils veulent donner l’impression que le monde arabe est divisé mais c’est faux : l’ensemble des pays arabes et des États de la Conférence islamique sont derrière l’initiative du Caire et du président Mahmoud Abbas qui a accepté et soutenu la proposition de médiation de l’Égypte.

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L’ONU a annoncé une enquête sur les potentiels crimes commis à Gaza. Qu’en attendez-vous ?

Nous attendons qu’elle dévoile toute la réalité des faits et qu’elle la présente dans un rapport à destination de la communauté internationale, pour le respect du droit international.

Cela veut dire que vous envisagez de saisir une juridiction internationale, comme la Cour pénale internationale ?

Il faut utiliser tous les moyens en notre possession. Pourquoi tout le monde fait pression sur l’Autorité palestinienne pour qu’elle ne fasse pas appel à la législation internationale ? Il n’y a que les que les criminels qui peuvent avoir peur des juridictions internationales. Bien sûr, c’est à nous de prendre la décision de les saisir ou non. On aura besoin d’un consensus au niveau palestinien, entre tous les partis.

Il n’y a que les que les criminels qui peuvent avoir peur des juridictions internationales.

La stratégie diplomatique basée sur le droit international n’est donc pas remise en cause par l’intervention israélienne ?

Je le répète : c’est une guerre politique et juridique. Ce n’est pas uniquement la question de la Palestine, il en va de la crédibilité du système international. Si les conventions de Genève sont là pour maquiller les stratégies des grandes puissances, elles sont inutiles. Si on se tait maintenant au sujet des crimes commis contre le peuple palestinien, c’est un feu vert pour d’autres à venir. Il faut choisir de ne pas être des marionnettes aux mains des grands mafiosi à la tête du système. Ce serait un honneur pour les Palestiniens de donner les indications qui permettront d’explorer un autre système basé sur le partage et le respect de l’autre. La Palestine est la solution, pas le problème. Nous avons souffert, nous souffrons encore et peut-être que nous souffrirons demain, mais ce sacrifice sera utile pour nos enfants et les leurs.

Nous souffrons aujourd’hui et nous souffrirons peut-être demain, mais ce sacrifice sera utile pour nos enfants et les leurs.

Que répondez-vous aux observateurs qui annoncent une troisième intifada ?

On ne veut plus de stratégies de réaction. Les Israéliens pensent qu’ils peuvent nous y pousser. Ils croient que les Palestiniens d’aujourd’hui sont les Palestiniens d’hier. Or, nous sommes en train de développer une stratégie d’action. Et c’est ce qui les fait paniquer. Je crois que nous sommes arrivés à un niveau de maturité et de réflexion plus avancé. On ne peut pas prévoir le futur mais ce qui est sûr c’est que nous ne jouerons plus les cartes israéliennes.

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Propos recueillis par Mathieu OLIVIER

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