Sani Abacha : la fortune d’outre-tombe
Les États-Unis vont saisir un demi-milliard de dollars détourné par l’ancien dictateur nigérian Sani Abacha. Goutte d’eau dans l’océan de malversations des dictatures africaines. Les biens mal acquis sont souvent bien mal rendus…
Le débat sur la solidité des institutions africaines a fait remonter à la surface du vocabulaire politique l’expression "hommes forts" qui fleure bon les années postindépendance. Et revoilà les fantômes à épaulettes qui planent sur les mémoires. Le récent quatre-vingtième anniversaire du prix Nobel de littérature Wole Soyinka rappelait déjà la chape de plomb militaire qui couvrit durablement le Nigeria. C’est maintenant une autre actualité qui convoque le souvenir d’un des "hommes forts" du géant ouest-africain, le général Sani Abacha qui fut à la tête de la junte jusqu’en 1998.
Le 7 août dernier, le département américain de la Justice annonçait avoir obtenu le droit de saisir une partie de la fortune de l’ancien dictateur ; même à l’étranger, pourvu que l’argent – fruit d’une incontestable corruption – ait transité d’abord par le système financier américain. La somme concernée avoisine le demi-milliard de dollars. Ce sont exactement 480 millions qui devraient être récupérés sur des comptes bancaires de l’île anglo-normande de Jersey, mais également d’Angleterre, d’Irlande et de France. Washington a toujours en ligne de mire 148 autres millions de dollars déposés en Grande-Bretagne.
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Comme à l’accoutumée, les procédures de ce type concernent des délais et des montants que le commun des Nigérians peine à appréhender. C’est environ une génération après les méfaits du clan Abacha que la saisie des sommes détournées est annoncée et rien ne permet d’évaluer aujourd’hui le temps qu’il faudra pour que les États-Unis prennent réellement possession des fonds et les rendent au Nigeria.
Quant aux sommes dont il est question, il est évident qu’aussi astronomiques qu’elles soient, elles ne représentent que la partie émergée de l’iceberg détourné par l’ancien dictateur. Au milieu des années 90, la razzia dans les fonds de la Banque centrale du Nigeria était systématique, sous couvert de prétendus "impératifs de sécurité nationale". Le cash coulait à flot au sommet de l’État, alors même que le carburant venait à faire défaut dans les stations services de ce pays pourtant producteur de pétrole. Au total, ce sont deux milliards de dollars que le général-président aurait détournés, dont 800 millions échoués en Suisse.
Le magazine américain Forbes estime la fortune de Zine el-Abidine Ben Ali à 5 milliards d’euros.
Le Nigeria n’est pas un cas isolé, ni du point de vue des détournements, ni du point de vue des difficultés à recouvrer les fonds. Si son histoire illustre les ponctions dans l’Afrique anglophone, celle de la Tunisie démontre que l’Afrique blanche n’est pas en reste, en matière de prédations abyssales. Le magazine américain Forbes estime la fortune de Zine el-Abidine Ben Ali à 5 milliards d’euros. Depuis la chute de l’ancien président, des associations comme Transparency International ou l’ONG Sherpa militent pour le retour de ces fonds mal acquis vers le budget tunisien. Mais les procédures sont longues et complexes, quand bien même des structures publiques soutiennent la société civile. En France, par exemple, l’organisme anti-blanchiment Tracfin peut faire des requêtes administratives auprès des banques, sans obtenir automatiquement, au-delà de 48 heures, le gel d’avoirs suspects.
Quand les sommes incriminées ne s’évaporent pas, elles ne prennent pas toujours la direction souhaitée. C’est l’Afrique noire francophone qui, cette fois, édifia sur ce point.
En 2008, une décennie après le décès de l’ancien président zaïrois Mobutu Sese Seko, la Suisse annonçait qu’une partie de ses avoirs – 5,2 millions d’euros – serait rapatriée vers la République démocratique du Congo. Mais pas dans les caisses publiques congolaises. Dans les poches de la famille Mobutu.
Les autorités suisses n’avaient plus le droit de bloquer les fonds, sauf à obtenir une requête formelle du gouvernement congolais. Mais le régime de Kinshasa n’aurait pas répondu favorablement à une demande de la ministre suisse des Affaires étrangères, peut-être parce que Nzanga Mobutu, fils de l’ex-dictateur zaïrois, occupait le poste de vice-Premier ministre chargé des… "Besoins sociaux de base ". Le pouvoir avait-il décidé de fermer les yeux au nom de la réconciliation nationale ? Ou suggérait-il qu’un maréchal pouvait honnêtement accumuler 5,2 millions d’euros au cours de sa carrière ? Certaines sources évaluent la fortune de Mobutu à près de 2,7 milliards d’euros.
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Damien Glez
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