Pierre Kwenders : « Dans Makanda, j’ai voulu créer un pont entre les mélodies africaines et celles d’ailleurs »

C’est aujourd’hui que Pierre Kwenders dévoile Makanda, son nouvel album. Avec cet opus de 11 titres, le chanteur canadien d’origine congolaise poursuit sa quête permanente d’un « son qui servirait de pont entre les mélodies africaines et celles d’ailleurs ». Interview.

Pierre Kwenders, chanteur canadien d’origine congolaise. © Neil Mota

Pierre Kwenders, chanteur canadien d’origine congolaise. © Neil Mota

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Publié le 8 septembre 2017 Lecture : 6 minutes.

Écouter Pierre Kwenders, c’est accepter de voyager. Se laisser surprendre. Dans son nouvel album Makanda at The End of Space, the Beginning of Time, le natif de Kinshasa ne trahit pas cette réputation. Il nous transporte dans des contrées inexplorées et nous surprend surtout par un mixage ingénieux des sonorités d’ici et d’ailleurs, à la fois puisées dans les genres musicaux des années 1970 et inspirées par les styles de musique d’aujourd’hui. Le cocktail est détonnant. À la hauteur, voire légèrement au dessus, de son premier-né, Le Dernier empereur bantou (2014).

Pierre Kwenders, de son vrai nom José Louis Modabi, c’est aussi ce jeune homme, bientôt 32 ans, tiraillé par sa double culture. Il a quitté la RD Congo en 2001 alors qu’il n’a que 16 ans pour aller rejoindre sa mère et sa tante au Canada.

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C’est d’ailleurs en hommage à ces deux femmes, mais aussi à sa grand-mère, qu’il a appelé son album Makanda : « La force », en tshiluba, l’une des langues nationales congolaises. Trois femmes qui comptent pour cet ancien choriste qui abandonna son cursus de comptable pour se consacrer à la musique. Ce sont elles qui lui ont « inculqué des valeurs » qu’il transmet désormais dans ses chansons. Cette fois-ci, avec le concours de Tendai Maraire de Shabazz Palaces, le célèbre groupe de hip-hop de Seattle, qui a participé à la réalisation de l’opus.

Jeune Afrique : Quelle est la spécificité de Makanda par rapport à votre premier album ?

Pierre Kwenders : Ce nouveau projet est très différent du premier. En travaillant sur cet album, j’ai voulu créer un son qui servirait de pont entre les mélodies africaines et celles d’ailleurs. Je pense qu’on arrive à le ressentir en écoutant Makanda. L’influence de base demeure la rumba, mais le reste va complètement ailleurs. D’autant que je ne me considère pas comme un chanteur de la rumba.

À travers ma musique, j’essaie de représenter mon identité versatile

À part la rumba congolaise, quels sont ces autres genres qui vous ont influencé dans l’élaboration de cet album ?

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Le hip-hop fait partie de mes grandes influences, mais aussi le funk. Dans Makanda, on peut aussi croiser ma version du disco, notamment dans la chanson Sexus Plexus Nexus.

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Ma génération a grandi avec ces différents sons qui n’ont pas forcément eu l’écho voulu en Afrique. Je voulais ressortir cette vague des années 1980 dans ce que je fais, aux côtés du hip-hop et du R’n’B. On ressent toutes ces sonorités à différents endroits de l’album.

Ce mixage de différentes sonorités crée-t-il un genre nouveau ? Mieux, existerait-t-il désormais un « style Kwenders » ?

À travers ma musique, j’essaie de représenter mon monde à moi, mon identité versatile, éparpillée entre deux cultures différentes. Je suis né à Kinshasa, je suis arrivé au Canada en 2001. Mon but n’est nullement de créer un genre nouveau, mais de servir de pont entre cette double identité. C’est ce que je tente de reproduire dans ma musique, car c’est quelque chose de commun que je partage avec beaucoup. C’est le cas également de Tendai Maraire, le réalisateur américain de l’album, qui a des origines zimbabwéennes.

En fait, je n’ai pas l’habitude de vouloir catégoriser les choses, encore moins celles de mettre très facilement certaines tonalités dans des cases. Pour moi, la musique n’a aucune frontière, elle ne mérite pas d’être catégorisée dans différents genres. Elle est la même dans toutes les sociétés, la seule différence réside dans le contexte culturel. Quant aux genres musicaux, ils se renouvellent d’une manière ou d’une autre, en s’inspirant de tout ce que nous apercevons.

J’étais un grand fan de Tabu Ley Rocherou, Papa Wemba, Franco, Madilu System, Koffi Olomidé

On soupçonne une dose de ce que vous appelez de la « rumba trap » dans votre musique. Qu’en est-il vraiment ?

(Rires) C’est juste un délire personnel. Je ne suis pas un rappeur mais je m’amuse à faire du pseudo-rap : je fais des rimes, des cris comme dans le trap. Ce délire-là, j’aime l’appeler de la rumba trap. C’est ainsi que  sur Rendez-vous par exemple, issu de ce nouvel album, je fais du semi-rap mélangé à la rumba.

Vous chantez en français, en anglais mais aussi en lingala. Est-ce toujours dans ce but de servir de pont entre différentes cultures ?

En toute franchise, ce n’est pas du tout calculé. J’y vais suivant l’inspiration. Je ne me dis pas, en arrivant au studio, que cette chanson là, je dois l’interpréter en lingala ou en français. C’est un  processus qui se passe naturellement. Mais cela fait bien entendu partie de cette démarche de vouloir créer ce pont entre les différentes culturelles qui ont fait de moi ce que je suis.

Quel regard portez-vous sur les chanteurs congolais, particulièrement ceux de la nouvelle génération conduite par Fally Ipupa, Ferré Gola, Fabregas, Héritier Watanabe ?

Moi, j’ai grandi en écoutant les vieux de la vieille. J’étais un grand fan de Tabu Ley Rochereau, Papa Wemba, Franco, Madilu System, Koffi Olomidé… Mais je pense que la musique congolaise va au-delà de la rumba. Elle a beaucoup à offrir. C’est pourquoi je trouve intéressant ce que les jeunes dans la partie est du pays, ou à Lubumbashi, dans le Sud, essayent de faire en osant d’aller un peu ailleurs, en refusant de rester dans le confort que peut offrir la rumba congolaise. Il est toutefois aussi important qu’il y ait d’autres jeunes, à l’instar de Fally Ipupa, Ferré Gola, Fabregas ou Héritier Watanabe, qui continuent à perpétuer la rumba congolaise, notre musique populaire adorée.

 J’aimerais bien avoir mon passeport congolais

Des passerelles et des collaborations sont-elles envisageables avec cette nouvelle génération de chanteurs congolais ?

C’est un de mes rêves. Je me sens d’ailleurs prêt à pouvoir collaborer avec les artistes congolais. Je n’ai pas encore eu la chance de retourner en RD Congo depuis que je suis au Canada. Jusqu’ici le timing n’a jamais été bon, mais cela sera fait l’été prochain. En tout cas, l’année 2018 ne se terminera pas si je ne pose pas mes pieds au pays. Il faut que j’y retourne. Pour revoir la famille, me ressourcer et m’imprégner de nouveaux sons et essayer de collaborer avec la nouvelle génération, voire l’ancienne. Ce serait un honneur de pouvoir collaborer avec des grands de la musique congolaise qui sont encore vivants. Beaucoup sont partis, hélas!

Canadien mais Congolais d’origine, quel regard portez-vous sur la situation politique de votre pays d’origine ?

Je suis canadien, mais j’aimerais bien avoir mon passeport congolais. Malheureusement, la Constitution de la RD Congo ne permet pas d’avoir une double nationalité. J’espère que cela va changer. Je garde toutefois un œil sur ce qui se passe dans mon pays d’origine. En fait, je n’ai jamais été loin du Congo. Mais je ne me considère pas comme un musicien engagé, je laisse ma musique parler pour moi. Dans mon premier album par exemple, j’ai écrit Kuna na Goma pour déplorer la situation sécuritaire dramatique à laquelle sont confrontés les habitants de l’est du pays. Dans Cadavere, j’ai abordé la question des enfants soldats et de la guerre.

Dans le nouvel album, il y a la chanson WTFU qui constitue un message à mes frères et sœurs du pays, voire d’ailleurs, pour qu’ils se lèvent et agissent. Il faut se réveiller et agir parce qu’il n’y a personne qui le fera à notre place. J’ai ainsi choisi la musique pour émettre mon opinion, prendre position et faire réagir les gens. Si ça abouti à quelque chose, j’aurais fait mon travail.

Makanda at the End of Space, the Beginning of Time

Bonsound

Sortie : le 8 septembre 2017

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