République des métis
Mais quelle mouche a donc piqué Kikaya Bin Karubi ?
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 11 septembre 2017 Lecture : 4 minutes.
Pour ceux qui, comme moi, le connaissent depuis l’époque où il officiait avec talent au micro de la SABC, à Johannesburg, et l’ont suivi avec attention dans l’exercice de ses différents postes – ambassadeur, ministre, secrétaire particulier de Joseph Kabila et désormais son très proche conseiller sur les questions diplomatiques –, deux mots prononcés lors d’un entretien au Monde ont fait l’effet d’une douche froide. Le danger qui guetterait la République démocratique du Congo, si l’opposition l’emportait, serait donc de devenir une « République des métis », allusion claire à la mixité phénotypique de quelques-uns des leaders du Rassemblement anti-Kabila : Moïse Katumbi, Sindika Dokolo, Olivier Kamitatu, José Endundo…
Notre ami « Kiki », distingué diplômé de l’université de Boston, père d’un ex-champion continental du 400-mètres, spécialiste de littérature anglaise et multiculturel dans l’âme, aurait-il, à 62 ans, effectué un furieux repli identitaire vers son Maniema natal au point de devenir « raciste », comme l’accusent désormais les réseaux sociaux ? Il est venu à JA, le 5 septembre, pour s’en expliquer – et le remède a été pire que le mal. Ses excuses « à tous ceux que cette petite phrase a frustrés », diffusées sur notre site jeuneafrique.com, assorties de considérations ethno-sociologiques et d’un « c’était juste une petite pique pimentée », n’ont fait que relancer la polémique auprès des internautes. Tweet de Kamitatu : « Juste une tribune pour un raciste qui s’assume. »
Pour une opposition qui, longtemps et en partie encore aujourd’hui, ne s’est pas privée de surfer sur la vague xénophobe et de fustiger « Kabila le Rwandais », l’occasion de s’offrir un scalp était trop belle. D’autant que, tout à sa saillie « pimentée », Kikaya Bin Karubi ne s’est pas rendu compte qu’il tirait aussi sur son propre camp. Kengo wa Dondo, président du Sénat et deuxième personnage de l’État, est né Léon Lubicz, fils d’immigré polonais. Et la première dame elle-même, Olive Lembe Kabila, est quarteronne.
Postes de responsabilité
Reste que si suggérer qu’un clan de métis est en passe de préempter la RD Congo relève au minimum du dérapage répréhensible, constater la surreprésentation de personnalités métisses à la tête du Rassemblement de l’opposition relève de l’évidence. Une évidence (et un tabou) tout à fait explicable au demeurant.
Formant une communauté volontiers élitaire, si ce n’est élitiste, « éduquée », comme l’on disait à l’époque, globalisée et avec une forte tendance au vécu entre soi, longtemps cantonnée dans le domaine des affaires, les « créoles » du Congo à l’instar de ceux d’Afrique centrale occupent tout naturellement, lorsqu’ils s’engagent en politique, des postes de responsabilité. Au point de susciter, dans un pays comme l’Angola, où les mestiços ont fait le chemin inverse – trustant le pouvoir politique à la tête du MPLA dès avant l’indépendance, avant de devenir les symboles de l’oligarchie pétro-tropicale –, des réactions de rejet. Mi-réelle, mi-fantasmée, cette césure a toujours été le fonds de commerce de Jonas Savimbi et de l’Unita.
Être métis est autant (si ce n’est plus) un handicap qu’un atout
L’Afrique n’est pas un monde de Bisounours. Les rapports entre races, ethnies, communautés y sont souvent rudes, même s’il n’est pas convenable de le dire. Karim Wade le sait, Moïse Katumbi aussi : être métis est autant (si ce n’est plus) un handicap qu’un atout quand on brigue la magistrature suprême. Seuls jusqu’ici, le Ghanéen Jerry Rawlings et le Botswanais Ian Khama y sont parvenus avec succès.
Pas assez blancs, pas assez noirs
Enviés, souvent jalousés quand ils réussissent, victimes de clichés ambigus (femmes frivoles, complexe de supériorité, mentalité « off-shore »), les métis d’Afrique sont pourtant loin d’être tous des privilégiés. Il suffit de faire un tour dans les faubourgs « coloured » de Johannesburg ou du Cap pour s’en rendre compte. Pas assez blancs sous l’apartheid, pas assez noirs sous l’ANC, les quelque 5 millions de métis sud-africains – 9 % de la population – vivent mal leur marginalisation dans des ghettos en proie aux gangs et au trafic de drogue. Et ils ne se privent pas de le dire.
La RD Congo n’a pas besoin de polémiques aussi polluantes que celle-là.
Kikaya Bin Karubi est-il « raciste » ? Non. (Très) maladroit, inopportun ? Assurément. Ou alors sont racistes tous ces opposants qui, à longueur de journée, dénoncent la « République des Katangais », la « République des Dioulas », la « République des Betis », le « péril peul », le « pouvoir kikuyu », la « dictature zaghawa » ou la mainmise des Zoulous sur l’ANC. Surtout, la RD Congo n’a pas besoin de polémiques aussi polluantes que celle-là.
Car, comme chacun le sait, ses vrais problèmes sont ailleurs. Si Joseph Kabila répète à ses rares confidents qu’il ne laissera jamais le pouvoir entre les mains de Moïse Katumbi, ce n’est pas parce que ce dernier est né d’une mère congolaise et d’un père grec. C’est parce qu’il estime qu’il l’a trahi et que, par voie de conséquence, si d’aventure il accédait à la présidence, il le poursuivrait de sa vindicte jusqu’au fond de sa ferme de Kingakati.
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