Algérie : « L’économie souffre encore des tabous présidentiels »
Endettement extérieur, contrôle de l’État sur les investissements étrangers… Le programme économique du Premier ministre Ahmed Ouyahia est resté otage des lignes rouges imposées par le président Abdelaziz Bouteflika, selon l’économiste Hassan Haddouche.
Mercredi 6 septembre, en Conseil des ministres, le nouveau gouvernement d’Ahmed Ouyahia a présenté son plan d’action, une nouvelle fois axé sur la maîtrise des dépenses publiques et la promotion des investissements. Face à la crise financière historique que traverse le pays, il préconise le recours au financement non-conventionnel, en actionnant la planche à billets.
Le plan Ouyahia décrit la situation sans concessions, mais il n’a pour autant pas touché aux tabous économiques de l’Algérie : toujours niet à l’endettement extérieur, et aucun amendement sur la loi qui instaure la tutelle de l’État sur les investissements étrangers. L’économiste algérien, Hassan Haddouche, décrypte les apports et les contradictions de ce plan.
Jeune Afrique : Comment analysez-vous le volet économique du plan d’action que le gouvernement Ouyahia vient de présenter ?
Hassan Haddouche : Tout d’abord, je ne m’attendais pas à ce qu’il contienne un diagnostic aussi précis et sans concessions sur la situation financière du pays. Il décrit d’une façon fidèle les déséquilibres des finances extérieures et intérieures. Certes, cette situation était connue de tous mais que le gouvernement l’admette publiquement, c’est une première.
Il rectifie aussi certaines idées erronées qui circulent sur la crise économique. Contrairement à ce qu’on pense, le chantier le plus urgent n’est pas de remédier au déséquilibre des finances extérieures, mais à celui des finances publiques, qui se sont gravement détériorées. Sur les finances extérieures, nous avons encore des réserves de change qui nous permettent de tenir encore quelques années.
Mais ces réserves fondent comme neige au soleil. L’Algérie risque l’insolvabilité d’ici 2020…
Oui, mais elles nous permettent encore de tenir 4 ou 5 ans. Nous allons terminer cette année avec un déficit de la balance des paiements de 18 à 20 milliards de dollars. Comme on a près de 110 milliards de dollars de réserves, il nous reste une petite marge.
Le problème le plus urgent est du côté du Budget de l’État. Depuis 2 ans, le déficit budgétaire représente près de 15% du PIB. Pire que ce qu’avait connu la Grèce au moment de la crise économique.
Depuis 2014, les dépenses de l’État, qui étaient calculées sur la base d’un prix de baril très fort, sont restées inchangées. Alors que les recettes se sont effondrées brutalement. On s’est retrouvé donc avec un énorme déficit budgétaire qui ne cesse de gonfler.
Les emprunts ne serviront pas à combler le déficit de l’État
Que propose le gouvernement ?
Il nous dit qu’il n’y a plus un sou dans le fond de régulation des recettes et ce, depuis février 2017. C’est la première fois que le gouvernement le reconnaît. Pendant 15 ans, ce fond contenait entre 50 à 60 milliards de dollars.
Non seulement il a été vidé à une vitesse record à cause de la crise mais en plus, l’État était obligé de s’endetter. D’abord, en interne en contactant un emprunt national de 5 milliards de dollars en 2016. Et ensuite, en externe, en sollicitant un prêt de 900 millions de dollars à la Banque africaine de développement (BAD).
À quoi a servi cet argent ?
Le gouvernement a reconnu qu’il servira à payer le fonctionnement de l’État et non à investir. Mais le pire est que ces emprunts ne suffiront pas à combler l’énorme déficit qui se creuse. On ne sait pas comment les Budgets 2017 et 2018 seront bouclés.
L’État algérien est au bord de la faillite
Cela veut dire que le pire est à venir…
Le rapport du gouvernement a décrit une situation sombre. L’État algérien est au bord de la faillite.
Que faire ?
C’est le moment de serrer la ceinture, faire des économies et dire adieu à un État qui a vécu pendant longtemps au dessus de ses moyens. Parallèlement, il faudra s’endetter.
Mais comme l’option de l’endettement extérieur a été écartée, il ne reste plus devant le gouvernement algérien que de se tourner vers le marché intérieur. À ce titre, le plan Ouyahia prévoit de recourir à des moyens de financement non-conventionnels en autorisant la Banque d’Algérie à financer directement l’économie.
En d’autres termes, il compte actionner la planche à billets. N’est ce pas une mesure extrême ?
Pas forcément. C’est un type de politique monétaire qui a été mis en oeuvre par le Japon dans les années 1990 à la suite de la crise financière qui a frappé l’Asie. En 2008, les USA y ont eu recours aussi pour faire face à la crise des subprimes.
En tant qu’économiste, cette mesure ne me choque pas outre mesure. Il faut juste savoir combien d’argent la Banque d’Algérie compte mettre dans l’économie et sur combien de temps.
Le gouvernement a-t-il tracé des grades fous à ce recours pour éviter une dérive inflationniste ?
Le pari que va faire le gouvernement est qu’il va créer de la monnaie pour financier essentiellement de l’investissement tout en continuant à réduire les dépenses de l’État. C’est la conjonction de ces deux paris qui va permettre d’éviter la dérive inflationniste.
Contrairement à ce qu’on pense, ce sont les subventions énergétiques qui posent problème
Qui dit réduction des dépenses, dit réduction des subventions publiques. L’équipe Ouyahia aura-t-elle le courage de s’attaquer à ce chantier ?
La réforme des subventions publiques va être un des enjeux principaux des deux prochaines lois de Finances. Mais contrairement à ce que l’on pense, ce ne sont pas les subventions des produits de base comme le lait et le pain qui seront touchées.
Les gens qui brandissent cet épouvantail sont soit mal informés , soit de mauvaise foi. Le pain et le lait ne coûtent à l’État algérien que 3 milliard de dollars par an alors que les subventions énergétiques absorbent 20 milliards de dollars. Ce sont elles qui posent problème. On attendra de voir ce qu’édictera la prochaine loi de Finances. En plus clair, si le prix de l’essence et de l’électricité vont augmenter.
La pilule sera dure à avaler pour un citoyen habitué à acheter son essence quatre fois moins cher que dans les pays voisins. Revenir à la réalité des prix risque de faire mal…
Personne ne dit qu’il faut revenir à la réalité des prix en un an. Il faut se donner le temps car le chantier est immense. On a commencé à en parler très modestement en 2016. Cet effort devrait se poursuivre dans les prochaines années. Il n’y a aucune raison pour que nous ayons un carburant moins cher que les pays voisins, qui sont plus pauvres que nous en termes de revenus.
Comment comprendre que le gouvernement veuille augmenter les investissements et s’interdit en même temps de toucher à une loi archaïque qui impose le contrôle de l’État algérien dans le capital des entreprises étrangères ?
Plus qu’un archaïsme, cette loi a enclenché une marche arrière dans la politique d’investissements. En 2009, le gouvernement l’a adoptée suivant le modèle des émirats pétroliers, qui imposent la tutelle de l’État sur les investissements étrangers.
Malheureusement, cette démarche, totalement contre-productive, fait partie des tabous présidentiels. Une ligne rouge, comme l’est l’endettement extérieur.
Quand on a beaucoup d’argent et que l’on ne sait plus quoi en faire on se dit qu’on n’a pas besoin des autres.
Ne trouvez-vous pas que le gouvernement algérien entretient un discours démagogique sur l’endettement extérieur ?
C’est un discours hérité de l’époque où les réserves de l’État débordaient tellement de liquidités que l’on avait décidé de rembourser par anticipation la dette extérieure du pays. L’endettement extérieur n’est pas toujours mauvais.
Un pays comme le nôtre, qui n’a pas une grande maîtrise des politiques d’infrastructures, aurait pu s’adresser aux institutions internationales pour l’aider à réaliser ses grands projets dans des conditions techniques viables.
Pourquoi, alors, cette frilosité vis-à-vis de tout ce qui est étranger ?
C’est la doctrine présidentielle. Je pense que les responsables algériens ont eu le vertige avec les réserves de change qui se sont accumulées pendant une longue période dans les caisses de l’État. Quand on a beaucoup d’argent et qu’on ne sait plus quoi en faire on se dit que l’on n’a pas besoin des autres.
Cette mentalité n’est-elle pas en porte-à-faux par rapport à l’ambition affichée de diversifier l’économie et de construire un nouveau modèle de croissance ?
Absolument. Le plan d’action du gouvernement pose les bonnes questions, mais il n’a pas toutes les réponses parce qu’il n’a pas le contrôle de la situation.
En Algérie, les tabous présidentiels réduisent considérablement les marges de manoeuvre du gouvernement. Les deux tabous, les plus évidents, sont la loi 51-49 sur l’investissement et l’endettement extérieur. Mais il y a aussi la vocation sociale de l’État algérien qui minore les ambitions de réforme des subventions.
De plus, nous sommes à un an et demi de la présidentielle. Quel crédit donner aux réformes gouvernementales en cette année électorale ?
Seuls les vrais décideurs en Algérie peuvent y répondre. Le président de la République et les personnes qui agissent dans l’ombre vont-ils accepter qu’on réalise des réformes douloureuses au risque de compromettre la popularité du régime ? Ce sont des interrogations auxquelles on ne peut pas répondre.
Ne pensez-vous pas qu’il faut mettre en place une cellule de crise indépendante des politiques afin de réaliser ces réformes urgentes ?
L’Algérie n’est pas dans une situation de faillite vis-à-vis des bailleurs de fonds internationaux. C’est peut-être cela aussi le problème. Elle n’est pas tenue à la gorge par les institutions internationales qui vont lui imposer un plan de réforme strict.
Comme la crise que nous traversons touche éminemment nos finances publiques, le gouvernement ne se sent pas obligé de rendre des comptes. Il est conscient du danger qui guette le pays, mais il n’a pas les mains libres pour lui faire face.
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