Corruption en Tunisie : adoption d’une loi d’amnistie controversée
Le Parlement tunisien a adopté mercredi soir, malgré la virulente opposition de plusieurs députés, un projet de loi défendu par le président Béji Caïd Essebsi mais décrié par la société civile car accusé de « blanchir les corrompus ».
Ce projet dit « de réconciliation dans le domaine administratif » a été approuvé mercredi 13 septembre par 117 élus à l’issue d’une journée de débats houleux au cours de laquelle les députés ont échangé accusations et invectives. « Nous resterons fidèles au sang des martyrs [de la révolution de 2011] ! » ont scandé les élus opposés à la législation lorsqu’elle a été adoptée, tandis que les autres applaudissaient et criaient : « Par notre âme, par notre sang nous nous sacrifions pour toi ô Patrie ».
Plusieurs élus ont boycotté le vote. Devant le Parlement, des dizaines de personnes ont manifesté contre le texte à l’appel du collectif « Manich Msamah » [Je ne pardonnerai pas, en arabe]. Au départ, le projet de loi prévoyait l’amnistie de certaines personnes – hommes d’affaires, anciens du régime du dictateur déchu Zine el-Abidine Ben Ali et autres – poursuivies pour corruption, en échange du remboursement à l’État des sommes indûment gagnées et d’une pénalité financière. Ce qui avait suscité en mai à Tunis, une mobilisation de contestation de plus de deux mille personnes.
Face au tollé, le texte a été revu pour ne concerner que les fonctionnaires accusés d’être impliqués dans des faits de corruption administrative et n’ayant pas touché de pots-de-vin, mais il suscite toujours une vive opposition. En le présentant à l’été 2015, le président Essebsi avait assuré qu’il s’agissait « d’améliorer le climat de l’investissement » dans un pays économiquement exsangue. D’après le texte adopté mercredi, la loi dit viser à « créer un climat propice à la libération de l’esprit d’initiative au sein de l’administration et à renforcer la confiance dans les institutions de l’État ».
Hymne national pour empêcher la lecture du rapport sur le projet de loi
Lors d’une conférence de presse antérieure au vote, plusieurs députés de l’opposition ont mis en garde contre l’adoption du projet, qui porterait selon eux un coup fatal à la démocratie naissante. « C’est le début d’un processus qui va profondément porter atteinte à la révolution » qui a renversé la dictature, a ainsi prévenu l’élu de gauche Ahmed Seddik.
Dans la journée, debout dans l’hémicycle et tapant du poing sur leurs pupitres, les opposants avaient entonné l’hymne national pour empêcher la lecture du rapport sur le projet de loi, forçant le président du Parlement à lever la séance.
Les députés s’en sont pris les uns aux autres pendant des heures. Face à l’opposition, les élus de Nidaa Tounès, parti fondé par M. Caïd Essebsi, ont défendu l’examen du projet de loi, tout comme plusieurs élus du parti islamiste Ennahdha, qui fait partie du gouvernement.
Cette plénière est une mascarade, a tonné un élu du Front populaire
La députée Samia Abbou (Courant démocrate) a traité les députés de Nidaa Tounès de « mafia », « Cette plénière est une mascarade! », a lancé à son tour Ammar Amroussia, élu du Front populaire (gauche).
Le député Mongi Rahoui s’est de son côté insurgé contre « le sens des priorités » du Parlement dominé par Nidaa Tounès et Ennahdha, en se demandant comment l’Assemblée pouvait débattre de ce projet alors que le Code des collectivités locales n’a toujours pas été adopté, à trois mois des élections municipales. Le Parlement devait élire mardi de nouveaux membres au sein de l’instance chargée d’organiser ce scrutin pour remplir des postes vacants, mais n’a pas pu le faire faute de quorum.
Pour de nombreux députés, comme Ammar Amroussia, l’absence de leurs collègues était « délibérée, pour pousser à reporter les municipales » pour lesquelles plusieurs partis ne sont pas prêts, jugent des médias et des observateurs.
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