« Mille homicides en Afrique de l’Ouest » : ce que les meurtres disent des mœurs
Des criminologues ivoiriens et canadiens ont publié une étude portant sur la typologie des homicides commis dans quatre pays : le Burkina Faso, le Sénégal, le Niger et la Côte d’Ivoire. En dressant le portrait statistique des victimes et de leurs meurtriers, les chercheurs dessinent des tendances sociétales lourdes, et proposent des pistes pour réduire ces violences.
Publié le 14 septembre 2017 Lecture : 6 minutes.
Quelles sont les raisons qui poussent au crime ? Pour tenter d’apporter une réponse à cette question ô combien complexe, les auteurs de Mille Homicides en Afrique de l’Ouest ont travaillé sur des articles de journaux relatant fait-divers et chroniques judiciaires, et se sont appuyés sur les données délivrées par les autorités policières des pays concernés : Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Niger et Sénégal. L’objectif : tenter de dresser le profil des meurtriers et de leurs victimes. Comparer, également, les ressorts qui poussent au meurtre dans les pays étudiés.
« Il s’agit de mieux comprendre le phénomène et, surtout, d’apporter une étude comparative dans ce domaine, ce qui n’avait jusque-là pas été fait », explique à Jeune Afrique Henry Boah Yebouet, professeur et doyen de l’UFR criminologie à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan. Avec Maurice Cusson, chercheur au Centre international de criminologie comparée de l’Université de Montréal, et Nabi Youla Doumbia, assistant de recherche au sein du même institut, ils co-signent « Mille homicides en Afrique de l’Ouest ». Comme son nom l’indique, l’étude porte sur mille homicides, commis entre 2008 et 2012. Un chiffre symbolique, mais qui est aussi « suffisamment large pour tirer des conclusions statistiques ».
L’une des originalités de l’ouvrage publié en juin dernier par les Presses de l’Université de Montréal réside dans le choix de présenter une étude comparative entre différents pays. « Cela vient combler un vide dans la recherche. Nous aurions évidemment souhaité l’étendre à d’autres pays, mais nous espérons que cette étude est un premier pas, et que d’autres viendront », explique Henry Boah Yebouet. À terme, l’objectif du criminologue ivoirien et de ses confrères canadiens est de créer un réseau d’observatoires des homicides dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. « Nous prévoyons de créer les premiers au Sénégal et en Côte d’Ivoire », précise le chercheur. « Il s’agit essentiellement d’un but scientifique, mais ces études peuvent aussi être des aides à la décision pour les pouvoirs publics. »
L’Afrique n’est pas le continent le plus homicide
Premier point sur lequel l’étude insiste : l’Afrique n’est pas le continent le plus homicide. Avec un taux d’homicide de 12,5 pour 100 000 habitants, l’Afrique est certes au-dessus de l’Europe (3 pour 100 000) mais largement au-dessous de l’Amérique du Sud (23 pour 100 000 habitants). Autre constat, à l’échelle du continent, cette fois : le sud de l’Afrique concentre les pays avec le plus fort taux d’homicide (voir carte ci-dessous).
Les homicides en baisse en Afrique de l’Ouest
Autre enseignement : sur la période 2008 à 2012, le taux d’homicide est en baisse dans la quasi-totalité des pays d’Afrique de l’Ouest, à l’exception très notable du Nigeria, où les homicides ont été en forte augmentation. Le Niger a également enregistré une hausse relative, tandis que le Bénin, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau et le Sénégal ont vu leurs taux d’homicide divisés par trois au cours de ces cinq années. Le cas particulier de la Côte d’Ivoire, qui enregistre une baisse extrêmement forte, est évidemment directement lié à la crise dont est sorti le pays.
Les homicides « politiques » restent minoritaires
Les chercheurs ont aussi montré, par leur étude, que la violence « strictement » politique (meurtres d’hommes politiques, violences policières, etc.), qui concentre souvent l’attention des médias et des opinions publiques, est loin d’être le principal ressort des homicides dans les quatre pays étudiés. La Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, sur la période 2008-2012, enregistrent tout de même de forts taux d’homicide de ce type. Cependant dans les deux pays ce type de meurtre reste minoritaire par rapport à ceux liés à un autre crime (braquage) – pour la Côte d’Ivoire – et ceux commis dans le cercle familial – pour le cas du Burkina Faso.
En Côte d’Ivoire, une majorité d’homicides liés à la « criminalité prédatrice »
La Côte d’Ivoire fait figure d’exception. Près du tiers des homicides qui y sont commis sont liés directement à une « criminalité prédatrice ». Les meurtriers, ici, sont des coupeurs de route et des braqueurs à main armée. « La Côte d’Ivoire souffre d’un climat sociopolitique délétère, qui introduit une violence exacerbée », constate Henry Boah Yebouet. L’un des facteurs de ce fort taux d’homicide est la circulation massive d’armes de poing, facilement accessibles et peu chères. « Au-delà de la crise, il s’agit en fait de « dégâts collatéraux » : la circulation des armes est facilitée, à la fois par la crise dans le pays, mais aussi par la porosité des frontières avec des pays voisins qui, comme le Liberia par exemple, ont aussi été touchés par des crises violentes », note le criminologue.
Henry Boah Yebouet voit également un autre enseignement à tirer des observations réalisées sur la Côte d’Ivoire. « La question de la pauvreté, que l’on lie souvent à la problématique des homicides, n’est en fait pas systématiquement un facteur criminogène. La Côte d’Ivoire se porte économiquement mieux que les autres pays étudiés, et c’est pourtant ce pays qui a le plus fort taux d’homicide. »
Au Sénégal, une écrasante majorité de « meurtres querelleurs »
Le taux d’homicide au Sénégal est parmi les plus bas d’Afrique (3 pour 100 000 habitants). « Le niveau culturel et le fait que le pays soit à la fois stable et que la démocratie y soit une réalité a une influence sur le comportement des Sénégalais », juge Henry Boah Yebouet, qui souligne que « le niveau de vie peu élevé pourrait induire un taux d’homicide plus élevé ».
Peu nombreux, comparativement aux pays équivalents, les homicides se concentrent sur deux ressorts : la bagarre qui termine mal, et l’homicide familial. Dans le premier cas, les meurtriers sont dans leur écrasante majorité de jeunes hommes qui connaissent le plus souvent leur victime. Dans le second cas, plus inquiétant, les auteurs remarquent une part importante d’infanticides (près de la moitié des cas recensés) parmi les homicides familiaux. Dans ce cas, les auteures sont le plus souvent des femmes. « Il arrive trop souvent que de jeunes femmes qui tombent enceinte hors du mariage tuent leur bébé sous le coup de la peur et de la honte », écrivent les auteurs.
Autre particularité inquiétante du Sénégal soulevée par l’étude : « la violence criminelle qui sévit à l’université de Dakar et ailleurs dans les établissements scolaires du Sénégal s’est soldée, selon nos données, par 23 étudiants assassinés » entre 2008 et 2012.
Au Burkina Faso, homicides familiaux et crapuleux
« Le Burkina Faso est dans une situation particulière, un peu à mi-chemin entre la situation de la Côte d’Ivoire, sans en avoir le niveau de développement, et la situation qui prévaut au Niger, avec une forte incidence des facteurs traditionnels », décrit Henry Boah Yebouet. La part des homicides familiaux est majoritaire, mais les homicides liés à d’autres crimes sont également très importants, tout comme les homicides « querelleurs ».
Autre spécificités du pays, par rapport aux trois autres concernés par l’étude : « Le Burkina Faso se situe en tête de liste en ce qui concerne le taux de lynchages, d’homicides inter-communautaires et d’assassinats politiques. » Un portrait qui, il faut le souligner, a été dressé sur des données récoltées entre 2008 et 2012, soit avant la chute du président Blaise Compaoré.
Au Niger, les homicides familiaux en tête de liste
Plus de la moitié des homicides commis au Niger ont lieu dans le cercle familial (56,7%). « Les auteurs des homicides familiaux sont à 58% des hommes et 42% des femmes. Les enfants sont victimes de leurs mères, qui sont à leur tour victimes des pères », peut-on lire dans Mille homicides en Afrique de l’Ouest. « Est-ce que ce taux d’infanticide est dû à la pauvreté ? Non. Le problème, ce sont les possibilités offertes lorsque l’on est face à un enfant non-désiré », estime Henry Boah Yebouet.
Dans leur ouvrage, les auteurs avancent deux mobiles récurrents à ces infanticides : « Éviter l’opprobre rattaché au fait d’avoir un enfant hors des liens sacrés du mariage et le désarroi d’une femme qui n’a pas les moyens de prendre en charge un enfant. »
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