Mamadou Biteye (Fondation Rockefeller) : « Il n’existe pas de raccourci pour développer l’agriculture africaine »
Les fondations Rockefeller et Bill & Melinda Gates ainsi que l’Agence des États Unis pour le développement (USAID) ont lancé un partenariat stratégique pour la transformation de l’agriculture en Afrique subsaharienne. Cette initiative, dotée d’une enveloppe de 280 millions de dollars, vise à doper les revenus d’au moins 30 millions de petits exploitants et améliorer la sécurité alimentaire dans onze pays.
Le Sénégalais Mamadou Biteye dirige le bureau Afrique de la Fondation Rockefeller. Il explique à Jeune Afrique les enjeux de ce « new deal » pour l’agriculture africaine.
Jeune Afrique : La Fondation Rockefeller et ses partenaires ont lancé un plan de 280 millions de dollars pour la transformation de l’agriculture africaine. Pour quelles raisons ?
Mamadou Biteye : Je dois avant tout préciser qu’au sein de la Fondation Rockefeller, nous sommes contents et confiants dans ce partenariat avec l’USAID, la Fondation Bill & Melinda Gates et l’Alliance pour la révolution verte en Afrique (Agra). Nous espérons établir un nouveau modèle de coopération pour la transformation de l’agriculture africaine.
Au cours de ses cent ans d’existence, la Fondation a toujours appris à travailler en partenariat. Pour repousser les barrières en Afrique, il est indispensable de changer la façon d’intervenir et de privilégier l’efficacité. Nos deux fondations, à l’origine de la naissance de l’Agra en 2006, avaient vu juste. Après onze ans d’existence, nous avons vu l’impact que cette institution a eu aussi bien en termes d’innovation, d’amélioration de la l’organisation du monde paysan que d’accès au financement et aux intrants agricoles.
Nous nous trouvons à un tournant décisif pour que l’agriculture devienne le secteur de la croissance africaine ; il nous faut plus d’engagement. Raison pour laquelle il nous faut mettre en synergie nos connaissances et nos ressources pour avoir le plus d’impact.
Comment allez-vous utiliser ces ressources?
Le financement mobilisé – 280 millions de dollars – va soutenir la nouvelle stratégie de l’Agra dans onze pays du continent : Kenya, Burkina Faso, Mali, Ghana, Rwanda, Ouganda, Tanzanie, Éthiopie, Nigeria, Malawi et Mozambique. Notre ambition est d’atteindre au moins 30 millions de petits exploitants familiaux à travers l’intégration de la chaîne de valeurs.
Nous voulons ainsi nous positionner comme une institution technique de développement qui favorise la résilience des producteurs africains face au changement climatique. Cela dit, je dois préciser que le partenariat sera rejoint par d’autres institutions et bailleurs de fonds tels que l’Agence française de développement.
La Fondation Rockefeller plaide pour des systèmes innovants en vue de réduire les pertes post-récolte. En quoi cela est-il un moyen d’améliorer les revenus des producteurs, notamment des exploitants familiaux?
Vous pointez là un problème essentiel resté pendant longtemps aux oubliettes. En 2015, les pertes mondiales de récoltes ont atteint l’équivalent du bénéfice cumulé du top 5 des fortunes mondiales. Vous voyez donc que ce sont des milliards de dollars perdus chaque année. Et en Afrique, le constat est encore plus amer. Par an, les petits producteurs perdent jusqu’à 15% de leurs revenus à cause des pertes post-récolte. Proportionnellement, c’est 20 % pour les céréales et 40 % pour les tubercules et les fruits et légumes.
Or l’essentiel des investissements agricoles sont orientés vers la production. Il est donc extrêmement important de traiter cette question. C’est pourquoi nous allons investir 130 millions de dollars pour asseoir un modèle efficace en vue de réduire ces pertes post-récolte et in fine générer un impact économique positif pour les petits exploitants.
Quel bilan vous est-il possible de dresser de la mise en oeuvre des engagements pris par les États?
Je constate que beaucoup d’efforts ont été consentis en faveur de l’agriculture africaine. Il y a eu des gains de productivité, et le Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) appuie les pays via son plan de développement agricole. Ceci étant, nous sommes encore loin du compte, et il est urgent pour les pays de respecter de manière soutenue l’engagement de Maputo de consacrer 10% des budgets nationaux à l’agriculture. Il n’existe pas de raccourci pour développer l’agriculture. L’Inde a réussi le pari de l’autosuffisance alimentaire en allouant au moins de 15 % de la dépense publique au secteur agricole.
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