Madiba doit se retourner dans sa tombe…
Triste décennie pour l’Afrique du Sud !
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 18 septembre 2017 Lecture : 3 minutes.
Fin 2007, Jacob Zuma raflait la présidence du Congrès national africain (ANC). Dix ans et deux mandats à la tête de l’État plus tard, son nom n’évoque plus que gâchis, scandales, compromission, corruption, népotisme et – pour l’instant – impunité. Dernière affaire en date, qui remonte à vrai dire à 1999, la signature d’un mégacontrat d’armement avec plusieurs entreprises, dont le français Thomson-CSF (devenu depuis Thales). Montant : plus de 4 milliards d’euros. Soupçons de commissions et donc de corruption. À ce jour, seul son très proche conseiller de l’époque, Schabir Shaik, condamné en 2005 à quinze ans de prison, n’est pas parvenu à échapper aux mailles du filet judiciaire. Mais la Cour suprême d’appel de Bloemfontein a décidé d’exhumer le dossier.
Zuma, c’est une litanie de scandales qui, partout ailleurs ou presque, auraient emporté leur auteur, même présumé. D’abord, il est accusé de viol par une femme séropositive de 31 ans. Acquitté, il ose déclarer que pour minimiser les risques de contamination après son rapport non protégé, il a pris une douche. Il était à l’époque (2005-2006) à la tête du Conseil national contre le sida… Ensuite, il y aura les affaires Aurora – la banqueroute d’une société minière créée en 2009 par son neveu, ancien chauffeur de taxi avant l’élection de son oncle, à la tête d’une fortune colossale et cité dans les Panama Papers –, Nkandla – la rénovation aux frais de l’État, pour 20 millions d’euros, de sa résidence privée, dans son village natal –et Gupta – une richissime famille d’origine indienne accusée d’utiliser ses liens avec le président pour s’ingérer dans la gestion gouvernementale, obtenir des contrats publics et bénéficier de passe-droits, qui emploie par ailleurs son fils, Duduzane Zuma, lequel mène grand train… Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg !
Vous avez vendu du rêve à nos parents en 1994. Nous sommes là pour être remboursés !
Nelson Mandela doit se retourner dans sa tombe. Car, au-delà des frasques judiciaires du chef de l’État, c’est surtout l’état réel du pays qui inquiète. En cause, la gestion de l’ANC, qui n’est plus que le fantôme bedonnant et embourgeoisé de ce qu’il fut (lire l’excellente interview de Winnie Mandela dans le J.A n°2958 en kiosques du 17 au 23 septembre). « Vous avez vendu du rêve à nos parents en 1994. Nous sommes là pour être remboursés » : cette formule choc inscrite sur les pancartes brandies par des étudiants en colère devant le palais du gouvernement, puis devant le siège de l’ANC, fin 2015, lors d’une énième manifestation d’une jeunesse sans guide ni boussole, résume l’amertume générale. Pauvreté et chômage endémiques (un jeune sur deux n’a pas d’emploi !), criantes inégalités sociales, corruption rampante, impunité de la classe d’« en haut », clientélisme, coupures de courant et insécurité galopante constituent l’essentiel du legs d’un Jacob Zuma passé maître dans l’art de l’inertie.
En décembre, l’ANC devra se choisir un nouveau chef, qui deviendra certainement président en mai 2019, après les élections générales. Les deux principaux candidats en lice sont Nkosazana Dlamini-Zuma, 68 ans, ex-épouse du président sortant, et Cyril Ramaphosa, 64 ans, ancien syndicaliste devenu homme d’affaires, qui a pris la tête des frondeurs du parti. La colère des jeunes, la pression de la rue, l’activisme des dissidences syndicales ou politiques, incarnées par le bouillonnant Julius Malema, l’émergence d’une opposition plus vigoureuse – aux municipales de 2016, l’ANC n’a recueilli que 55 % des suffrages et a perdu des villes clés comme Pretoria ou Johannesburg – réveilleront-ils enfin le parti de Madiba ? Hélas, rien n’est moins sûr. Car ce n’est pas seulement d’un nouveau chef dont il a besoin, mais aussi et surtout d’une profonde refondation.
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