Comment l’Algérie va s’y prendre pour faire tourner la planche à billets

Pour combler le déficit public, les autorités algériennes vont recourir au « financement non conventionnel », selon les termes du Premier ministre, Ahmed Ouyahia. Mais certains observateurs craignent une baisse du pouvoir d’achat des ménages.

Ahmed Ouyahia lors d’un discours à Alger le 11 juin 2017. © Sidali Djarboub/AP/SIPA

Ahmed Ouyahia lors d’un discours à Alger le 11 juin 2017. © Sidali Djarboub/AP/SIPA

Publié le 19 septembre 2017 Lecture : 3 minutes.

Fraîchement nommé Premier ministre, pour la quatrième fois de sa carrière, Ahmed Ouyahia a exposé, dimanche 17 septembre devant l’Assemblée populaire nationale (APN), le nouveau plan d’action du gouvernement. L’occasion de détailler les conditions de la mise en place d’un financement non conventionnel, annoncé quelques jours auparavant.

Le chef du gouvernement l’admet lui-même : la situation économique du pays est « complexe ». Depuis trois ans, le pays membre de l’Opep a vu ses recettes en devises diminuer de moitié et ses recettes fiscales divisées par deux. Résultat, l’Algérie a besoin de 20 milliards de dollars par an pour combler un déficit public estimé à 15% du PIB.

Les banques, notamment publiques, n’ont plus beaucoup d’argent. C’est pour cette raison que nous avons choisi de recourir au financement non conventionnel

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Dans son discours fleuve long de près de deux heures, le chef du gouvernement a présenté le recours à un « financement non conventionnel » – autrement dit, à la planche à billets – comme la seule issue pour dépasser la crise financière que traverse le pays depuis 2014. Le fonds de régulation des recettes (FFR) est épuisé « depuis février et, compte tenu du faible volume du marché financier local, un financement du Trésor via l’émission d’obligations n’est pas envisageable », a expliqué Ahmed Ouyahia au cours de son intervention. « Les banques, notamment publiques, n’ont plus beaucoup d’argent. C’est pour cette raison que nous avons choisi de recourir au financement non conventionnel », a reconnu le chef de file du RND.

Encore traumatisées par l’expérience des années 1990, qui avait abouti à un plan d’ajustement structurel en 1994 avec le FMI – mis en application par Ahmed Ouyahia, alors Premier ministre du président Lamine Zeroual –, les autorités algériennes excluent par ailleurs le scénario de l’endettement extérieur.

Financer les déficits et rembourser les dettes

Comment cela va-t-il fonctionner ? La loi relative à la monnaie et au crédit sera amendée pour autoriser la Banque d’Algérie à acquérir directement des titres qui seront émis par le Trésor. Objectif : financer les déficits budgétaires et rembourser les dettes importantes vis-à-vis de la Sonatrach – 900 milliards de dinars (soit plus de 6,7 milliards d’euros)  – ou des banques publiques engagées dans l’assainissement de la Sonelgaz 700 milliards de dinars (plus de 5,2 milliards d’euros) – « de sorte que les banques publiques retrouvent des liquidités qu’elles utiliseront pour le financement de l’investissement économique », a déclaré Ahmed Ouyahia.

« Au total, la Banque d’Algérie pourrait acquérir l’équivalent de plus de 35 milliards de dollars de titres du Trésor dès cette année », calcule Alexandre Kateb, économiste et ex-membre de la Task Force, une cellule de crise rattachée au premier ministère.

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Durée de 5 ans maximum

Ce financement, dit « exceptionnel », sera limité à une durée n’excédant pas cinq ans et sera destiné seulement au financement de l’investissement public, d’après Ahmed Ouyahia. « Les emprunts que le Trésor public obtiendra auprès de la Banque d’Algérie auront un impact positif sur les citoyens car ils permettront de relancer ou d’achever des projets de développement humain gelés ou bloqués ces dernières années dans plusieurs domaines, y compris la santé ou l’éducation », a-t-il assuré.

Le recours à la planche à billets sera aussi doublé de réformes économiques et financières « pour rétablir l’équilibre des finances publiques ainsi que l’équilibre de la balance des paiements », s’est engagé le Premier ministre, qui a également promis que la loi de finances 2018, dont le texte sera discuté au Parlement au cours du mois de novembre, ne contiendra aucune nouvelle taxe.

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Zones d’ombre

Malgré tout, certaines zones d’ombre quant à la mise en œuvre de ce mode de financement subsistent. Rien n’a encore été dit concernant le « volume total envisagé pour ce financement non conventionnel, le mécanisme de mobilisation et de contrôle des fonds afin de s’assurer qu’ils financent le budget de l’investissement et non le budget de fonctionnement », souligne Alexandre Kateb.

De manière indirecte, le recours à la planche à billet pourrait aussi porter un coup dur au pouvoir d’achat des ménages algériens. « L’Algérie est entrée déjà depuis deux ans dans un cycle inflationniste, coïncidant avec la dépréciation de près de 30% du dinar vis-à-vis du dollar, les restrictions sur les importations et les nouvelles taxes sur la consommation et sur les carburants. L’inflation devrait dépasser 8% cette année, et on se dirige vers une inflation à deux chiffres en 2018. La monétisation de la dette publique n’arrange rien. Elle va accroître les pressions inflationnistes », craint Alexandre Kateb.

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