Débat : les 500 députés de la RDC sont-ils encore légitimes ?
En RDC, la rentrée parlementaire de septembre a marqué l’ouverture de la première session d’une Assemblée nationale dont tous les 500 membres sont arrivés au terme de leur mandat. Ces derniers, élus en 2011 pour une législature de cinq ans, sont-ils encore légitimes ? Interview croisée des députés Martin Fayulu et Patrick Muyaya.
Tout ou presque les différencie. L’un est un opposant au régime de Joseph Kabila et candidat déclaré à la prochaine présidentielle dont le calendrier n’est toujours pas connu, l’autre est un cadre du Parti lumumbiste unifié (Palu), formation politique alliée de la coalition au pouvoir en RDC, qui s’apprête à lancer l’association « Jeunes pour jeunes ». Tous les deux sont des élus de la ville de Kinshasa. Mais leur mandat, à l’instar de ceux de 498 autres députés nationaux, est arrivé à terme au mois de février. Sans que de nouvelles législatives ne soient organisées. Martin Fayulu et Patrick Muyaya n’en tirent pourtant pas les mêmes conséquences.
Le premier a décidé depuis de ne plus prendre part aux plénières d’une Assemblée nationale qu’il considère comme étant « illégitime ». Une position que ne partage pas le second qui, lui, a bien assisté, le 15 septembre, à l’ouverture de la session ordinaire de la chambre basse du Parlement congolais. Ils ont, chacun de leur côté, répondu aux questions de Jeune Afrique sur la légitimité de l’institution dont ils font partie.
Jeune Afrique : L’Assemblée nationale congolaise est-elle encore aujourd’hui légitime ?
Martin Fayulu : Non, elle ne l’est plus. C’est pourquoi j’ai décidé de ne plus prendre part aux travaux de cette Assemblée nationale tant que l’accord de la Saint Sylvestre n’est pas appliqué. À titre personnel, j’ai renoncé aussi aux indemnités de député. C’est désormais mon parti, l’Ecidé, qui les récupère parce que si je les laisse, elles ne retourneront pas aux caisses du Trésor public.
Les députés sont légaux, mais peut-être plus légitimes, selon Patrick Muyaya
Patrick Muyaya : Une chose est certaine, l’Assemblée nationale demeure légale. Certes le mandat des députés est arrivé à terme au mois de février, mais nous sommes là au nom du principe de la continuité de l’État. Nous sommes donc légaux, mais peut-être plus légitimes si l’on considère le délai constitutionnel pour lequel nous avons été élus en 2011. En fait, nous sommes dans une situation transitoire hybride qui tire sa source de la Constitution de la République et du compromis politique trouvé le 31 décembre 2016 pour gérer la période nous séparant de la prochaine organisation des élections. C’est ainsi qu’aujourd’hui le gouvernement est dirigé par un membre de l’opposition et une institution, le Conseil national de suivi de l’accord et du processus électoral (CNSA), a été créée.
Les députés de l’opposition devraient-ils tous boycotter les séances de l’Assemblée nationale ?
MF : Il faut leur poser la question. Moi, je suis un homme de parole et de conviction. Je refuse d’être considéré comme un député illégitime. Car j’ai pris part à la rédaction d’une déclaration du Rassemblement de l’opposition, laquelle stipule que s’il n’y a pas de consensus autour de l’après-19 décembre 2016, toutes les institutions à mandat électif deviendraient illégitimes. Aujourd’hui je ne peux pas justifier auprès du peuple congolais l’existence de cette Assemblée nationale. À l’instar de Joseph Kabila, elle est devenue illégitime. Un gouvernement de transition, composé de 15 à 25 membres, doit être mis en place. Il prendrait des ordonnances-lois.
PM : C’est un choix personnel. Encore faut-il renoncer clairement aux émoluments de député. Qu’à cela ne tienne, j’observe que M. Martin Fayulu se retrouve seul dans cette posture. Ses collègues de l’opposition continuent à siéger à l’Assemblée nationale. D’ailleurs comment peut-on aller aux élections prochaines sans loi électorale, sans celle sur la répartition des sièges, sans budget ? Si nous suivons tous la voie de Martin Fayulu, nous pouvons alors oublier la tenue des élections.
Kabila doit partir au plus tard en décembre 2017, martèle Martin Fayulu.
Pour redonner une certaine légitimité aux institutions actuelles, faut-il convoquer un troisième dialogue ?
MF : Le compromis politique issu de l’accord de la Saint-Sylvestre n’a pas été respecté, Kabila doit partir au plus tard en décembre 2017. Laissant ainsi la place à une transition courte et responsable. Le président qui sera désigné, son Premier ministre et les ministres à venir ne se présenteront pas aux élections. Leur mission sera de conduire le pays vers des élections, en commençant par ordonner l’audit du fichier électoral actuel. Car les chiffres de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) sont en déphasage avec les données démographiques. Il nous faut une nouvelle Ceni !
PM : Le troisième dialogue, c’est l’organisation des élections. C’est le dialogue au cours duquel nous pouvons directement échanger avec le peuple. Il faut rappeler également que l’accord politique de la Saint-Sylvestre en soi ne pose pas problème, mais c’est « l’arrangement particulier » censé le mettre en application, qui est venu le plomber à cause des querelles d’égos des uns et des autres. J’espère qu’on pourra rapidement réajuster les tirs et parvenir à restaurer un climat de confiance nécessaire au bon aboutissement du processus électoral.
C’est important, au-delà même du calendrier électoral, de restaurer un minimum de confiance entre les acteurs politiques, selon Patrick Muyaya.
Le « bon aboutissement du processus électoral » passerait-il par la publication d’un calendrier électoral « au plus vite » comme l’a demandé récemment Aubin Minaku, président de l’Assemblée nationale, à la Ceni et au CNSA ?
MF : Nous avons dépassé la revendication relative à la publication du calendrier électoral. Pour nous, les choses sont claires : le régime en place multiplie des subterfuges pour justifier un nouveau « glissement ». Mais qu’il y ait élection ou pas, au 31 décembre, Kabila doit partir.
PM : Pour certains, c’est un discours rassurant, mais pour d’autres, ce n’est pas le cas. Nous assistons en effet à un manque criant de confiance au sein de la classe politique. En conséquence, lorsque Aubin Minaku s’exprime comme président de l’Assemblée nationale, beaucoup le perçoivent, à tort ou raison, comme le chef d’un camp. À mon sens, ce qui est important, au-delà même du calendrier électoral, c’est de restaurer un minimum de confiance entre les acteurs politiques. Ce n’est que de cette manière que les enjeux à venir, par ailleurs plus importants que ceux du passé, seront abordés dans une certaine sérénité.
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