Sénégal : Babacar Khane, du soufisme au yoga égyptien
À 82 ans, le Sénégalais Babacar Khane, maître yogiste réputé, est considéré comme le spécialiste du yoga égyptien.
Le yoga trouve ses sources en Égypte antique où les Pharaons le pratiquaient assidûment. C’est ce que démontrent le maître yogiste Babacar Khane et son épouse, l’égyptologue Geneviève Khane, dans leur premier ouvrage sur le sujet : Le Yoga des Pharaons : L’éveil intérieur du Sphynx, paru en 1983 aux éditions Dervy. Cette année-là, cela fait déjà plus de trente ans que Yogi Khane, né Babacar Khane le 2 janvier 1935, à Dakar, pratique et enseigne le yoga. « Je viens d’une famille soufie où l’on parlait d’arts martiaux et de yoga », explique-t-il avant d’ajouter qu’au Sénégal, ces deux pratiques n’ont rien d’une nouveauté. Il cite ainsi la confrérie Tidjaniya (Tidjane), dont les fondateurs étaient des adeptes de yoga. « El Hadj Malick Sy, fondateur de Tivaouane, la capitale de la Tidjaniya, enseignait des techniques de respiration. Pour le soufi, la respiration est un moyen de développer sa concentration ». Yogi Khane va plus loin encore, évoquant les soufis du Xe siècle.
C’est grâce à son maître indien, le gourou Paramahasan Yogananda, que Babacar Khane a entrepris des recherches approfondies autour du yoga et de la spiritualité à partir des années 1960. Sa méthode mêle trois disciplines : le hatha yoga, qui est l’une des branches du yoga indien, le kung-fu chinois mais aussi le yoga égyptien, dont il est un spécialiste reconnu mondialement. « Sans préparation, la pratique pure et dure du hatha yoga peut provoquer des problèmes physiques. Aussi, le yoga égyptien constitue une bonne base pour compléter la pratique du hatha yoga. »
Babacar Khane a fondé l’Institut International de Yoga en 1960 à Dakar. L’établissement est aujourd’hui géré par ses frères, Asse et Ousmane Khane. Plusieurs antennes ont, par la suite, été ouvertes en France, en Belgique, en Allemagne, en Espagne, au Canada ou encore en Suisse, où le maître yogiste réside désormais tout en voyageant pour des formations et conférences. Il a aussi tenté l’aventure en Guinée, toujours dans les années 1960, mais son projet s’est soldé par un échec : « la conjoncture n’était pas favorable ». En 1969, il ouvre une autre structure en Côte d’Ivoire mais l’établissement ferme ses portes en 1974.
Vers la yoga-thérapie
Parallèlement, des rhumatologues se sont intéressés aux activités de celui que l’on nomme Maître Yogi Khane. Parmi ceux-ci, le gérontologiste et rhumatologue français Philippe Baumgartner qui, lors d’un congrès médical organisé à Dakar en 1964, invita Babacar Khane pour une présentation de quelques postures de yoga. La méthode du maître yogiste se révélait idéale pour soigner certaines pathologies : rhumatismes, sciatique, douleurs cervicales et névralgiques, anxiété ou encore dépressions nerveuses. Ainsi, le médecin français proposa à Babacar Khane de travailler avec des personnes âgées dans une station thermale d’Aix-les-Bains, en France.
Le couple entreprend d’étudier les racines égyptiennes du yoga en se référant, notamment, à la production de l’historien et égyptologue Cheikh Anta Diop
« Les postures du yoga indien ne convenaient pas mais les postures de l’Égypte, conjuguées au kung-fu, étaient parfaites. Et dès 1965, je me suis engagé à étudier l’approche culturelle, philosophique et religieuse de ma pratique ». C’est là que Babacar Khane commence à parcourir l’Europe au gré de séminaires dans des écoles de yoga. À partir de 1974, il officie en tant que membre du comité pédagogique de la Fédération Française de Yoga (FNEY) pendant quatre ans.
Il est alors devenu un yogi-thérapeute reconnu, adoubé par Leopold Sedar Senghor, travaillant en étroite collaboration avec des rhumatologues et des psychiatres à l’international. Il donne même des cours de yoga diffusés sur la télé publique sénégalaise RTS dès 1978 mais aussi sur des chaînes de télévision grecque, espagnole et allemande. Pendant cinq ans, à la même période, sur invitation du ministre Algérien Abdelmadjid Aouchiche, il mène des formations en Algérie. Au cours des années 1980, il rencontre son épouse, Geneviève. Elle est alors enseignante et occupe un poste de recherche à l’Institut fondamental d’Afrique noire de Dakar (IFAN). Dès lors, le couple entreprend d’étudier minutieusement les racines égyptiennes du yoga en se référant, notamment, à la production de l’historien et égyptologue Cheikh Anta Diop. Le yogiste fait justement part de ses conclusions au grand intellectuel sénégalais à grand renfort de photographies, dessins et autre éléments probants. « Il m’a dit que mes travaux constituaient une pièce maîtresse pour expliquer la spiritualité et la religion égyptiennes. Il a véritablement approuvé mon propos ».
Le yoga égyptien, une science universelle
Quand Babacar et Geneviève Khane emploient le terme de yoga des Pharaons ou yoga des Égyptiens, d’autres adeptes préfèrent parler de yoga « kemetic », terme dérivée du nom « Kemet » qui désigne l’Égypte antique en langue pharaonique. « Nous n’avons jamais parlé de kemetic yoga mais de yoga égyptien. Le kemetic yoga est une version du yoga égyptien qui s’est développée aux États-Unis », clarifie Geneviève Khane. « Dès 2700 avant J.-C., vous avez une représentation de la posture du lotus dans les temples égyptiens. On retrouve aussi la posture du cobra royal vers 2000 avant J.-C. dans un tombeau égyptien ». Qui plus est, l’Égypte accordait énormément d’importance au souffle et à la respiration, nous apprennent les deux chercheurs.
Maître Yogi Khane, toujours très actif à 82 ans, envisage d’ouvrir d’autres centres de formations en Afrique : Côte d’Ivoire, RDC, Maroc, Égypte, Afrique du Sud…
« Quand j’ai commencé à Dakar, la majorité des adeptes étaient des hommes sénégalais. Par la suite, pendant une bonne vingtaine d’années, ce sont les femmes expatriées que je retrouvais dans mes cours. Et puis, à partir des années 1980, hommes et femmes sénégalais ont commencé à participer ». Maître Yogi Khane, toujours très actif à 82 ans, compte, prochainement, ouvrir des centres de formations sur le continent africain. Ce membre d’honneur de l’institution World Yoga Council pense à la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, le Maroc, l’Égypte ou encore l’Afrique du Sud.
« Quand on a publié nos premiers ouvrages, cela a suscité des vocations », note Yogi Khane avant d’ajouter que le nombre d’adeptes du yoga égyptien s’accroît au fil des années. « Mais le Yoga des Pharaons n’est pas réservé aux personnes noires, c’est une science pour toute l’humanité ». Pour ce chantre de la spiritualité, « le yoga n’est pas une question de posture mais d’état d’esprit ».
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